L’Afrique se shoote

Champ de cannabis irrigué au Maroc
Par Corinne Moncel

Depuis une vingtaine d’années, le continent, du Nord au Sud, d’Ouest en Est, n’échappe plus à la consommation de drogues. Il est bien loin le temps où la consommation de drogues ne relevait que d’une usage rituel: un peu d’iboga, une plante psychotrope, dans les potions des sorciers d’Afrique équatoriale, pour entrer en contacts avec les ancêtres; quelques feuilles hallucinogènes de datura, en Afrique sahélo-saharienne, pour soigner, stimuler ou entrer en transe. Dans l’Afrique du XXIe siècle, changement de décor: c’est consommation à tous les étages. Chez les enfants soldats ou vivant dans les rues. Les jeunes en manque de travail et d’avenir. Les actifs des villes et des campagnes multipliant les travaux de force pour joindre les deux bouts. Les artistes, élites et politiques pour se donner un coup de fouet et s’adonner à quelque plaisir. Et même le bétail, tels ces boeufs au Bénin gravés – comme leurs maîtres – à la datura pour tenir le coup des gros travaux des champs.

A la sortie des lycées de Rabat ou du Caire, on se fume un joint ou deux; dans les «fumeries» de Kinshasa ou de Kampala, on se shoote à la dagga; dans les quartiers glauques de Dakar ou de Nairobi, on se trouve les veines pour s’injecter da dose d’héroïne; dans les rues de Port-Louis ou Lagos, on s’inhale du crack; dans des appartements de Johannesburg ou de Bissau, on se sniffe une ligne de cocaïne; sur les docks de Dar es-Salam ou de Luanda, on s’avale une amphétamine…

La toxicomanie est devenue un vrai problème de santé publique en Afrique. Pourtant, elle n’est toujours pas soignée comme tel dans la plupart des pays.Toujours pour les mêmes raisons: relativisation du problème, manque de financement public pour la prévention et les soins, priorité à d’autres causes sanitaires.

La cannabis, ou chanvre indien, qui se prend sous forme d’herbe fumée (marijuana, kif, dagga, ganja, etc.) ou de résine (hashish, shit), est la drogue «préférée» des consommateurs africains: 63% d’entre eux s’y adonnent, selon les chiffres 2009 de l’Organisation des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), estimés à partir des demandes de traitement, contre 20% en Europe, 23% en Amérique du Nord ou 10% en Asie.

Le premier producteur mondial, le Maroc, qui s’était spécialisé dans l’exportation vers l’Europe, a su se créer des marchés en Afrique du Nord et des pays limitrophes. Ailleurs, le cannabis est devenu une culture dominante pour une consommation locale ou régionale: au Ghana bien sûr, où l’usage est généralisé depuis les années 1960, en Afrique du Sud, premier producteur subsaharien, au Sénégal, où il essaime dans toutes les régions, en République démocratique du Congo entre deux rangs de Manioc, et dans nombre de pays où sa culture est nettement plus rentable que l’agriculture vivrière.

Les prix baissent

Les drogues dures, opiacées (héroïne et substituts, genre Subutex ou méthadone), cocaïne et son dérivé, le crack, restent loin derrière le cannabis, consommées respectivement à 17% et 7%, selon l’ONUDC. Leur usage a augmenté proportionnellement à la quantité transitant par l’Afrique, devenue plaque tournante du trafic mondial.

Tous les spécialistes le savent: à chaque kilo convoyé d’une région à destination d’une autre, restent des dizaines, voire des centaines de grammes dans le pays de transit. Des habitudes se créent, des marchés voient le jour, l’offre abonde, les prix baissent (sauf en cas de pénurie artificielle organisée par les trafiquants), la consommation augmente. 

 
Le Quotidien d’Oran, 20/09/2011 

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