Aqmi cherche à s’étendre jusqu’aux Shebab somaliens

Tandis que les pays saharo-sahéliens se noient dans des politiques politiciennes : Aqmi cherche à s’étendre jusqu’aux Shebab somaliens

L’affaire des otages français enlevés au Niger vient brutalement rappeler l’urgence d’une stratégie commune dans les pays saharo-sahéliens. La voie a été tracée par Alger à Tamanrasset, mais il reste à passer à la phase réalisation. Pour cela, il faut de la volonté politique. Et pendant ce temps, Aqmi menace de dépasser son cadre saharo-sahélien. De s’enfoncer en Afrique sub-saharienne et, plus dangereux encore, de faire jonction avec les Shebab somaliens.

Al-Qaïda, qui n’est plus que l’ombre d’elle-même, fait parler d’elle en Afrique par Aqmi et les Shebab, deux organisations qui se sont accolées la marque Ben Laden, pour mieux frapper les esprits. Disposant de capacités de nuisance, elles se déploient sur des zones éminemment géostratégiques où elles puisent toutes leurs ressources. L’Islam, pour les deux franchises d’Al-Qaïda, ne serait, selon tous les spécialistes, qu’un paravent pour cacher des activités plutôt liées au grand banditisme. 


Pour faire court, Aqmi tente de contrôler les réseaux de la drogue vers l’Europe, ceux des armes et des cigarettes, ainsi que le trafic des êtres humains, y compris la traite des blanches. Traqués par les forces de sécurité algériennes, les terroristes ont ouvert un front en Afrique subsaharienne. Une aubaine parce que les États de la région saharo-sahélienne ne sont pas assez forts pour chasser les intrus. Combattre le terrorisme dans cette région est d’autant plus difficile que le Sahel désertique, qui s’étend de l’océan Atlantique à la mer Rouge, est une terre d’irrédentisme : l’occupation du Sahara occidental par le Maroc est, en soi, un facteur d’instabilité au Maghreb ; les rébellions touareg sévissent dans le nord du Mali et du Niger pour exiger le développement de leurs régions ; les Toubous du Tchad réclament leur indépendance et les musulmans du nord du Nigeria exigent un meilleur partage du pactole pétrolier. En outre, des événements ont révélé de long en large tous les jeux auxquels s’adonnent certains pays de la région et qui, force est de le constater, encouragent l’instabilité. Tergiverser sur les capacités et la solidarité nationale au sein de la région saharo-sahélienne, et cela après s’y être solennellement engagés, pour s’abandonner entièrement à des voies tracées hors continent et que tout le monde suspecte d’ingérences pour se mettre sous la main non seulement la vaste scène sur laquelle se déploie Aqmi, c’est offrir sur un plateau des motifs de convenances et de complicités sinon de neutralité aux populations de la vaste bande saharienne à l’égard du terrorisme. 

Quant aux Shebab, ils ont pour eux la piraterie dans le golfe d’Aden, la principale autoroute maritime du commerce international. Le Sahel a également vu son importance grandir avec les matières premières de ses membres et de son voisinage. La Somalie est un no man’s land, une région de non-droit au cœur de la Corne de l’Afrique tandis que le Sahel est un vaste ensemble peu peuplé, donc peu administré. Difficiles à sécuriser, les deux régions sont, pour ainsi dire, livrées à elles-mêmes. C’est la raison pour laquelle le terrorisme s’y est incrusté alors que partout ailleurs, plusieurs organisations jihadistes ont renoncé à la lutte armée face aux coups portés contre leurs membres et surtout à la désaffection des populations vis-à-vis d’une idéologie, quelles ont fini par considérer pour le moins de suicidaire. Le dernier groupe à rendre l’âme est le Groupe islamique combattant libyen (GICL), en mars 2010.

Aujourd’hui, Al-Qaïda est confrontée à un problème de recrutement, les candidats au jihad s’étant raréfiés et la question de sa violence sans distinction en débat, y compris dans les milieux radicaux. La première brèche au sein des groupes jihadistes dans le monde arabe est apparue entre le milieu et la fin des années 1990 avec l’autodissolution de la Gamaâ Al-Islamiyya, qui était le plus important groupe armé en Égypte. Et pourtant, le numéro deux d’Al-Qaïda est un Égyptien, Ayman Al-Zawahiri, la tête pensante de Ben Laden. Et le groupe islamiste égyptien a été également cofondateur du Front islamique international pour le djihad contre les juifs et les croisés. Le cadre de l’idéologie jihadiste, qui a légitimé dans les années 1980 le recours aux armes pour renverser les régimes apostats. Les cheikhs religieux du monde entier se sont détournés des assassinats industriels commis au nom de l’Islam.
Certains ont même avoué s’être fourvoyés, notamment en ce qui concerne les évènements d’Algérie auxquels ils avaient consentis auparavant. Rejeté par la population et vaincus militairement, les GIA abdiqueront à leur tour. À leur annonce de cesser leurs activités séditieuses, les autorités algériennes répliquèrent en décrétant la réconciliation nationale. Al-Qaïda en Arabie Saoudite en fera de même et ses irréductibles iront en Irak. Leurs attentats à la bombe sur la terre des lieux de l’Islam avaient provoqué indignation et colère, dans le pays qui s’enorgueillit de l’idée que son application de la chari’a assurait la sécurité de ses citoyens, et pouvaient lui aliéner l’ensemble de la communauté musulmane.
Il a fallu, il est vrai, le 11 septembre 2001 et les mises en garde des États-Unis, pour que l’establishment religieux saoudien mette un bémol à l’exportation de son wahhabisme et adopte, à son tour, des positions fermes contre le terrorisme d’Al-Qaïda. Mais, le terrorisme n’est pas pour autant tari. Cependant, les pays aux prises avec ses agissements ne peuvent plus déplorer l’absence de stratégies réalistes pour traiter les causes réelles du terrorisme. Il est unanimement admis que l’Islam n’en est qu’un prétexte. Les causes qui sous-tendent le phénomène du terrorisme sont la pauvreté, le chômage, l’exclusion et, surtout, l’absence de réformes politiques. Et l’on comprend pourquoi, l’adhésion à un centre international de lutte contre le terrorisme ou à de vagues résolutions, non contraignantes, remporte plus facilement le soutien que, par exemple, le renforcement des contrôles sur les organisations religieuses, ou encore pour de vraies réformes dans le système éducatif pour la connaissance scientifique, la modération et la tolérance. Il reste qu’en perte de vitesse, malgré les apparences, y compris en Irak où la procession d’attentats est le revers de luttes entre factions au pouvoir, au Pakistan où c’est la même logique avec des tensions entre la classe politique et les militaires, et en Afghanistan où la réapparition des taliban est à lier au régime corrompu de Karzaï, le jihadisme radical s’est donc déporté sur le continent africain où il existe de nombreuses facteurs d’instabilité. 

Le déploiement s’est fait de façon parallèle jusqu’à se demander s’il y a eu des concertations entre Aqmi et les Shebab. Le mode d’installation est identique : un groupuscule avec armes et prédicateurs, et le tour a été joué pour tendre leurs tentacules. Les Shebab en Somalie où ils ont rapidement supplanté les corsaires qui prenaient en otages tous ceux qui passaient dans le golfe d’Aden, y compris les géants des mers que sont les pétroliers. Le pays a été une proie facile : plus d’État, rien que des chefs de guerre. La situation est différente dans le Sahel, une large bande saharienne enserrée entre l’Algérie, la Libye, la Mauritanie, le Niger, le Mali et le Tchad, avec ses profondeurs (Sénégal, Burkina Faso et Côte d’Ivoire). Là, ce n’est pas l’absence de pouvoir mais le dénuement et le sentiment d’abandon de franges de populations qui constituent un terrain propice à la présence d’Aqmi. L’idéologie d’Al-Qaïda, à en croire des observateurs, n’a pas prospéré, mais le groupe radical peut y circuler comme un poisson dans l’eau, d’autant qu’il a développé une véritable économie (kidnapping, trafic de la drogue, d’armes, de cigarettes et de candidats africains à l’émigration vers l’Occident). Aqmi et les Shebab convergent également sur le plan tactique pour élargir, par cercles concentriques, leur influence. Pour Aqmi, l’objectif est de descendre plus au Sud, jusqu’en Côte d’Ivoire dont le Nord-Est musulman, au Burkina Faso, où Paris avait, dans les années 1990, assigné à résidence ses propres islamistes. Les Shebab, eux, ont tenté, lors de la Coupe du monde de football, une sortie hors Somalie, avec les attentats en Ouganda qui s’apprêtait à organiser le sommet ordinaire de l’Union africaine laquelle combat par des contingents africains le terrorisme en Somalie. Les Shebab ont averti d’élargir leur champ d’action partout en Afrique du Centre et de l’Est. Depuis que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (Gspc), créé en 1998 par Hassan Hattab, a fait allégeance, en janvier 2007, au chef spirituel d’Al-Qaïda, Oussama Ben Laden, la franchise a gagné des galons dans le cercle des radicaux africains. A. Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, l’“émir” d’Aqmi, surnommé le “Ben Laden du Maghreb”, recrute, selon des spécialistes du terrorisme, ses hommes dans la bande saharo-sahélienne, jusqu’en Somalie. Droukdel a multiplié les appels au djihad en direction des pays de l’Afrique subsaharienne, proposant, entre autres, d’encadrer et d’entraîner les potentiels candidats à la guerre sainte. Son groupe compterait près de 300 membres organisés en groupes mobiles qui opèrent par surprise, essentiellement constitués de Somaliens, Mauritaniens et Nigérians et qui ont adopté le mode de vie des autochtones. Aqmi a métastasé, pour donner naissance à d’autres groupuscules locaux qui se sont également spécialisés dans le rapt, les taxes prélevées sur les caravanes et les prises d’otages d’Occidentaux. Il y aurait dans la région de multiples réseaux qui travaillent de leur propre initiative pour Aqmi. Ce serait, en quelque sorte, des franchises d’Aqmi. Tout cela reste évidemment à démontrer. Washington, dans un rapport sur le terrorisme islamiste dans le Sahel, conclut que les menaces pèsent dans quatre pays : le Mali, la Mauritanie, le Niger et le Tchad, et que ce sont leur instabilité et la pauvreté qui ont offert une visée à l’islamisme radical et violent. Ce que ne dit pas le rapport, c’est le mécontentement suscité dans le Sahel par l’initiative américaine “Plan Sahel”, un programme par lequel le Pentagone a pris pied dans les quatre pays sahéliens, un minuscule budget de 6,5 millions de dollars. Et comme si le sentiment antiaméricain était insuffisant, voilà la France de Sarkozy qui y apporte sa part. Le sentiment antifrançais qui s’est développé depuis l’arrivée à l’Élysée de Nicolas Sarkozy avec sa politique d’immigration, s’est renforcé avec l’envoi d’armadas aériennes françaises en Mauritanie, au Niger et au Mali pour faire la chasse à Aqmi. Les populations de ces pays ne sont pas dupes, pour elles, c’est de l’ingérence. L’intervention de la France est ressentie comme une humiliation d’autant que leurs pays célèbrent le cinquantenaire de leur indépendance. 

En raison de ses richesses naturelles – uranium, pétrole, gaz –, le Sahel a suscité la convoitise pas que de la France et des États-Unis. L’Allemagne, l’Espagne, la Russie, la Chine, le Brésil, l’Inde, tous ces pays veulent aussi leur part. L’Algérie, qui a de l’expérience en matière de lutte antiterroriste, consciente des limites de certains pays saharo-sahéliens et face à l’extension d’Aqmi, notamment à sa probable entente avec les rébellions touareg, a prôné l’élaboration entre les pays saharo-sahéliens d’une stratégie commune de lutte contre le terrorisme, avec un commandement régional. Les démarches sont en cours mais elles traînent, faute de convergences politico-diplomatiques. Et tandis que les pays concernés ne parviennent pas à s’entendre pour se défendre, Aqmi continue de tisser sa toile.

Par : D. B.
Liberté, 30/9/2010

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