Dits et non-dits de l’exercice Flinlock 10 au Sahel

Il y a une vingtaine de jours, le 23 mai dernier, prenait fin l’exercice stratégique Flintlock 10. Ces manœuvres, qui ont duré trois semaines, du 3 au 23 mai, se sont déroulées dans plusieurs pays de la région du Sahel et du Sahara. Elles ont réuni quelque 1 200 soldats de huit pays africains, de cinq autres européens et des Etats-Unis. Mais au-delà de l’aspect opérationnel militaire, quelle conclusion peut-on tirer de ces manœuvres qui se sont déroulées dans des pays limitrophes de l’Algérie ? Une lecture du théâtre opérationnel et des enjeux sous-jacents peut éclairer certains aspects de Flintlock 10.
L’exercice stratégique Flintlock 10 (10 pour l’année 2010) n’est pas le premier du genre. Lancé en 2005, Flintlock, qui en anglais signifie littéralement fusil à pierre, est un exercice militaire multinational impulsé par les Etats-Unis et regroupant les pays du Trans Sahara Counterterrorism Partnership (TSCTP), certains pays partenaires européens, le Special Operations Command Africa (SOCAFRICA) rattaché à l’Africom et le Joint Special Operations Task Force – Trans Sahara (JSOTF-TS) du commandement militaire américain.
Même l’observateur non averti remarquera la prépondérance des Américains dans cette affaire, qui en dit long sur certains tenants et aboutissants relatifs à ce que Washington qualifie de «sécurité nationale américaine» qui est, insistent les officiels du Pentagone et du Département d’Etat, «menacée» à partir de la bande sahélo-saharienne au Sud de l’Algérie.
Ainsi, Flintlock 10, dont le centre de commandement pour le présent exercice est établi dans la capitale burkinaise, s’est déroulé du 3 au 23 mai au Sénégal, au Mali, en Mauritanie, au Tchad, au Nigeria et au Maroc.
Huit pays africains (Burkina Faso, Mali, Maroc, Mauritanie, Nigeria, Sénégal, Tchad et Tunisie) et cinq pays d’Europe (Belgique, Espagne, France, Pays-Bas, Royaume-Uni) ont pris part à l’opération dont le commandement est assuré par les Etats-Unis et le Burkina. Sur le terrain, environ 1 200 soldats ont participé à l’exercice, dont 600 des forces spéciales américaines, plus de 400 Africains et 150 Européens.
Ces opérations se sont déroulées en grande partie dans la zone sahélo-saharienne, investie depuis quelques années par le GSPC qui y pratique des prises d’otages occidentaux et s’adonne à de nombreux trafics (êtres humains, drogue, cigarettes…).
Une stratégie impériale américaine
Selon le site du Commandement américain unifié pour l’Afrique (Africom), «Flintlock 10 est un exercice militaire conçu pour développer les capacités des unités militaires et des états-majors des nations africaines, européennes et américaines». Il «sera une opportunité supplémentaire pour générer une vision unifiée pour la coopération et la stabilité dans la région transsaharienne.» Vision unifiée dans la terminologie américaine ne peut pas sortir de la logique globalisante et impériale que Washington a du monde et de sa place dans ce monde. Ainsi, sous-entendu «vision unifiée», selon le prisme américain !
Toujours selon le site d’Africom, «cet exercice cherche à renforcer l’interopérabilité militaire comme fondement pour la sécurité et la stabilité régionale». Dans ce cas de figure, l’interopérabilité s’effectue sous la supervision de l’armée américaine, donc la marge de manœuvre des pays africains et même européens se trouve réduite de facto.
Cet exercice «facilitera la coopération régionale en matière de sécurité et de lutte contre les organisations terroristes», a déclaré le commandant adjoint des activités civilo-militaires d’Africom, Anthony Holmes. «Il s’agit de poursuivre la mise en œuvre d’une véritable vision stratégique pour les pays de la zone sahélo-saharienne avec tous les voisins les plus proches, afin de parvenir à l’éradication du terrorisme et de la criminalité transfrontalière sous toutes ses formes», a estimé, pour sa part, le ministre burkinais de la Défense, Yéro Boly, dont le pays a coordonné avec les Etats-Unis le commandement de Flintlock 10.
C’est donc un agenda stratégique américain qui est proposé sous la dénomination de Flintlock. La menace est identifiée par les Américains. «Al-Qaïda est la menace la plus grave dans le Sahara», a déclaré le colonel Crytzer, qui s’exprimait depuis la base de l’état-major de Flintlock 10 à Ouagadougou. Loquace, le militaire américain dévoile les axes de la stratégie de son pays dans la région. «En tant que militaire, on joue un petit rôle, le reste des solutions au terrorisme est à la fois politique et économique», a-t-il estimé. «Dans la région, les armées de certains pays manquent d’entraînement, d’autres de matériels», a ajouté le colonel Crytzer après avoir écouté des officiers de pays africains participant à l’exercice évoquer leurs difficultés. «Nous avons constaté la volonté des pays de la zone sahélo-saharienne de combattre le terrorisme», s’est-il félicité.
Menace identifiée, plan d’action (militaire, politique et économique) conçu et volonté de coopération des pays de la région, autant dire du pain béni pour les officiels à Washington qui semblent garantir ainsi un solide point d’ancrage dans cette région stratégique.
Les propositions d’Alger
Mais qu’en est-il de la position de l’Algérie ? Intéressée au plus haut point par les soubresauts de la sous-région, Alger a, depuis longtemps, apporté des réponses aux défis posés au Sahel. D’où sa mise à l’écart de l’exercice Flintlock 10. Le 21 avril dernier, soit une dizaine de jours avant le début des manœuvres Flintlock 10, le comité d’état-major opérationnel a été installé à Tamanrasset, la grande ville de l’extrême Sud algérien. Ce comité regroupe l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Le centre opérationnel de Tamanrasset a pour objectif de «coordonner les opérations de lutte contre le terrorisme dans chacun des pays concernés». En proposant une véritable interopérabilité régionale, l’Algérie joue activement le rôle de leader régional dans la lutte antiterroriste.
Lors de la réunion des chefs des armées de sept pays du Sahel (Algérie, Burkina Faso, Libye, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) le 13 avril dernier à Alger, le chef d’état-major de l’ANP, le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, a identifié les lacunes de la coopération régionale proposant par là même l’unification des efforts des pays aux prises au fléau du terrorisme.
«Forts que nous sommes par l’engagement résolu de nos pays et de nos armées dans une véritable œuvre de mise en synergie de nos volontés, de nos expériences respectives et de nos capacités militaires, permettez-moi de dire que le constat est que chacun de nous continue à faire face à ce mal avec ses méthodes et ses moyens propres faute de vision commune de lutte, alors que nous serions, à l’évidence, plus forts si nous le faisons ensemble, sur la base d’une étroite coopération militaire active servant la cause de la paix et de la stabilité, gages de bien-être et de prospérité pour nos peuples, unis par les liens de l’histoire et de la géographie», a relevé Ahmed Gaïd Salah avant de rappeler l’exemple algérien où le terrorisme a été «fortement réduit grâce à l’application déterminée d’une stratégie multidimensionnelle conjuguant une lutte sans merci de l’ANP et des services de sécurité, avec l’appui actif et résolu de notre peuple et, au plus haut niveau politique, par des dispositions favorisant la réconciliation nationale».
C’est donc une véritable feuille de route que propose l’Algérie à ses partenaires régionaux. De ce fait, Alger apparaît comme une coordinatrice des efforts des pays du Sahel, dans un esprit d’appropriation des initiatives et des moyens selon la philosophie de l’africanité des réponses aux problèmes africains. Une démarche qui ne semble pas être du goût de certaines parties et de leurs relais dans la région.
Pour les Américains, le Sahel revêt une importance capitale. Cette région est riche en uranium et fait la jonction entre les champs pétrolifères d’Afrique du Nord et d’Afrique de l’Ouest. De plus, elle est devenue le théâtre où activent des groupes terroristes devenus des groupes de criminels organisés spécialisés dans le trafic de drogue (entre l’Amérique latine et l’Europe), le trafic d’armes, les prises d’otages et la traite d’êtres humains. Pour l’Europe, la sous-région est à la fois tout cela mais le plus important est qu’elle se trouve à ses portes.
Pour l’Algérie, par contre, le Sahel est son extension naturelle vers le Sud, sa porte vers l’Afrique et son espace vital au sens géopolitique du terme. Un espace où se jouent à la fois sa sécurité et celle de ses voisins. La stratégie que propose Alger n’est pas un outil de puissance qui reflète une volonté d’impérialisme. C’est une stratégie multidimensionnelle qui conjugue la lutte militaire au développement économique et à la stabilité politique, une expérience vécue par l’Algérie, qui veut la partager avec ses voisins. Chose
que Washington, Paris et Rabat n’ont pas compris.
M’hamed Khodja

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