Version d’un espion du KGB : Che Guevara et le Sahara Occidental

Le Front Polisario est-il né spécialement pour lutter contre le Maroc ? C’est la version développée par Rabat qui n’hésite pas à qualifier le mouvement indépendantiste de « bandes de mercenaires » à la solde de l’Algérie. L’histoire est pourtant tout autre car le Polisario, fruit d’un combat plus que centenaire, est né dans les années 1960 pour libérer le Sahara Occidental de l’occupation espagnole. L’Algérie, qui venait d’accéder à son indépendance, n’était bien sûr pas tout à fait étrangère à la naissance de ce mouvement qui n’était pas dirigée contre le Maroc mais bien contre une puissance occupante européenne contrairement à ce que laisse entendre le Maroc. Dans quelles circonstances le Polisario est-il né ? Un ancien agent des services secrets cubains livre une version qui mériterait éventuellement d’être complétée par les protagonistes. Juan Vivès est issu de la grande noblesse espagnole émigrée à Cuba. Il a 15 ans lorsqu’il rejoint les guérilleros de la révolution cubaine.
Surnommé El Magnifico lors d’une action d’éclat, il participe aux côtés de Fidel Castro et de Che Guevara au renversement du régime de Batista. Capitaine de l’armée rebelle, il est l’un des premiers officiers cubains à recevoir un entraînement complet d’agent secret au KBG soviétique, ce qui le conduira à mener des missions à travers le monde entier.
Dans un livre autobiographique qu’il vient de publier à Paris, ce dissident, qui a rompu avec le castrisme et qui vit à Marseille, revient sur une histoire personnelle qui se confond bien avec l’histoire d’une période du XXe siècle. Il raconte être arrivé en Algérie lorsque a éclaté la « guerre des sables » avec le Maroc. À la mi-juillet 1963, Che Guevara arrivait aussi en Algérie à un moment où le président Ben Bella venait de convoquer l’ambassadeur cubain Papito Serguera pour lui demander une aide pour le Sahara espagnol. Écoutons le récit. “Papito me demanda de l’accompagner pour que je lui serve d’interprète.
Je ne savais pas qu’il existait un Sahara espagnol et l’ambassadeur non plus. Quand nous fûmes arrivés dans les locaux de la présidence, Ben Bella voulut que nous rencontrions des représentants des groupes qui étaient en lutte contre le colonialisme espagnol. Nous informâmes immédiatement La Havane qui nous demanda d’établir le contact sans nous engager à rien car la situation était délicate vis-à-vis de l’Espagne et ils ne voulaient pas que les choses s’enveniment plus encore. Le Che arriva donc à ce moment-là en Algérie, il prit la question en main et nous nous documentâmes sur cette histoire. La lutte pour l’émancipation du Sahara espagnol dura plus de 100 ans, sous des formes diverses. En 1957 et 58, l’Espagne, la France et le Maroc avaient organisé une opération de répression pour étouffer toute velléité d’indépendance. Cette opération avait reçu le nom de code d’Ouragan. Même si Franco était considéré au sein de la communauté internationale comme un personnage peu fréquentable, c’était une autre affaire dès que les intérêts géopolitiques entraient en jeu, et les ex-métropoles européennes se seraient associées avec le diable. Une fois la documentation consultée, nous demandâmes plus de détails au KGB qui confirma nos renseignements et nous mit au courant de tout.
Il fallait avancer prudemment, deux grandes nations européennes entraient dans la partie et on ne pouvait pas prendre les choses à la légère. Le Che décida qu’on les aiderait à former un mouvement de libération à caractère politique qui aurait son siège en Algérie, et le MLS (Mouvement de Libération du Sahara) vit le jour. Le Che informa La Havane que des cadres de ce mouvement seraient envoyés à Cuba pour se former aux théories marxistes. Ils parlaient parfaitement castillan avec un fort accent espagnol mais il n’y avait pas de problème à ce niveau-là. La question était de savoir comment concilier tout ça avec la religion musulmane.
Le Che nous fit un exposé sur le socialisme arabe de Nasser, c’est sûr que les contradictions paraissaient évidentes mais cela n’empêcha pas des centaines de Sahraouis de s’envoler à Cuba afin d’y recevoir une formation comme cadres politiques, d’autres comme étudiants et même les enfants pour faire leur scolarité sur l’île de la Jeunesse. Je ne peux pas affirmer si l’assassinat de Benbarka (opposant socialiste au roi Hassan II et leader du mouvement tiers-mondiste), fut ou non une vengeance du Maroc face à cette ingérence de Cuba dans ses affaires intérieures. En tout cas, à la suite de cet assassinat Fidel fut pris d’une de ses colères dont il a seul le secret, et il jura que le Maroc serait une terre de vengeance.
Des interventions publiques et plusieurs manifestations anticolonialistes furent organisées avec le MLS. La réponse ne se fit guère attendre. Des centaines de militants furent jetés en prison, tandis qu’un nombre équivalent d’activistes dût s’exiler en Algérie. Fidel comprit que le mouvement politique ne suffisait pas. Les dernières manifestations politiques eurent lieu en 1970, et la légion espagnole tira contre les manifestants en faisant des centaines de morts et de blessés. Des camps d’entraînement militaire s’ouvrirent à partir de cette date en Algérie, et, entre 1971 et 1972, le MLS changea de nom pour laisser la place au Front Polisario.
Blog Nad Nadir (Le Post.fr)

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