Comment les amis d’El Himma ont pris le contrôle d’Al Jarida Al Oula

Comment va la presse au Maroc ? Plus mal que jamais !

Une bonne part des dirigeants de la presse indépendante au Maroc sont sous le coup de peines de prison avec sursis révocables en cas de nouvelles « infractions » (Bouachrine, Anouzla) . Une épée de Damoclès au-dessus de leurs têtes qui les empêche d’exercer en toute sérénité. Une autre part a été obligée de quitter le pays (Lmrabet, Ammar, Jamai). Le sort le plus malheureux a été réservé à Driss Chahtane , Directeur de publication du journal Al Michaâl, qui purge un an de prison ferme dans des conditions dramatiques. Ahmed Reda Benchemsi attend son procès pour lèse-majesté.

Pour couronner le tout, cette mascarade appelée « débat national Médias et société». Songez que pour représenter les journalistes (ou ce qu’il en reste) on n’a rien trouvé d’autre que le très indépendant Khalil Hachimi Idrissi ! Désormais on a plus froid aux yeux !

Mais il y a des méthodes plus discrètes et plus détestables. L’entrisme du parti de l’ami du roi et sa mainmise sur la presse. Après l’hégémonie politique voici venue l’hégémonie médiatique. Dernier exploit : un coup d’état éditorialiste dans le quotidien arabophone Al Jarida Al Oula. C’est à peine croyable : depuis deux mois Ali Anouzla n’est plus autorisé à écrire dans le quotidien dont il est par ailleurs le fondateur et le directeur !

Al Jarida Al Oula voit le jour fin mars 2008. Ali Anouzla réunit un tour de table composé de personnalités diverses. Parmi les actionnaires on trouve les journalistes Abdessamad Benchrif et Aboubakr Jamaï, des ex-détenus comme Hassan Semlali , honorable avocat du journal . Et il y a aussi un certain Ilyas El Omari qui exige de Ali Anouzla que les actionnaires détiennent des parts égales au journal, pas plus de 100.000 Dhs chacun, non sans avoir pris la précaution d’inviter deux membres de famille, et des amis, à rejoindre le tour de table.

Curieux personnage que Ilyas El Omari. Comme beaucoup d’élites politiques de la génération M6 il a deux vies : Une avant l’avènement du roi Mohammed VI et une après. Au milieu des années 80 , il est homme de gauche et militant actif de la cause Amazigh . En 1986, suite à une condamnation, il rentre dans la clandestinité et n’en sort qu’en 1989. Il reprend son militantisme au sein de l’AMDH et en compagnie de Driss Benzekri notamment. Il est même membre du Parti Socialiste Unifié en 2000.

Ilyas El Omari aura une deuxième vie politique après l’avènement de Mohammed VI . Il est remarqué par l’ami du roi , Fouad Ali EL Himma et devient son bras droit et messager auprès de la gauche et la société civile marocaines. Homme discret par qui toutes des conversions miraculeuses arrivent. Le chasseur de têtes de gauche et de société civile auprès de l’homme fort du moment.

En récompense de son efficacité, Fouad Ali EL Himma fera de lui un seigneur. En 2001 il est membre de l’Institut Royal de la langue Amazighe . En 2003, il est nommé membre du HACA (CSA marocain). Voici donc une autre curiosité marocaine : une autorité de régulation des médias publics dont deux membres sur huit (El Omari et El Ouadie pour ne retenir que ces deux là) sont membres du parti El Himma ! Entre temps Ilyas El Omari quitte le PSU pour le MTD puis pour le parti de l’ami du roi. Il est vrai que la cohérence politique n’est pas une qualité des membres de ce parti.

Il faut lui reconnaître une chose à Monsieur El Omari : il fait des miracles. On ne compte plus les anciens hommes de gauche et opposants qu’il a amené dans le camp El himma. Il est même l’exécutant du stratège qui a amené un certain Monsieur Lachgar à rejoindre le gouvernement. Plus spectaculaire encore : il est aussi le mettre d’œuvre du spectaculaire revirement éditorialiste de Rachid Nini, le directeur d’Al Massae. Le conseiller officieux de rédaction du premier quotidien du Royaume c’est lui. C’est de notoriété publique dans toutes les rédactions casablancaises.

Retour à Al Jarida Al Oula. Ali Anouzla, un journaliste intègre, de la vielle école, a un ton critique envers le parti El Himma. Comme tous les journalistes de la vieille école, il est aussi un mauvais gestionnaire. Sa condamnation dans l’affaire du santé du roi va sceller son sort. Il découvre soudainement que dans son Conseil d’administration il y a le bras fort de Fouad Ali El Himma , Ilyas El Omari, deux de membres de sa famille, et autres actionnaires sympathisants. Il est sommé de convoquer un Conseil d’Administration qui se réunit début janvier et lui ordonne de changer de ligne éditoriale et la rendre moins dure avec le pouvoir et son parti préféré. Mauvais gestionnaire, mais intègre journaliste, Ali Anouzla choisit de se taire au lieu de céder aux pressions. Depuis deux moins il est donc contraint au silence, ne pouvant même pas éditorialiser dans le journal dont il est pourtant fondateur ! L’entrisme des amis du Fouad Ali El Himma porte ses fruits : au mieux la ligne éditoriale est devenue conciliante au pire le quotidien sera condamné à la fermeture. Ca sera toujours une publication indépendante en moins. Les suivants sur la liste, selon les pronostics qui n’ont rien d’improbable, sont Taoufik Bouachrine et Ahmed Reda Benchemsi.

Mais encore…. Parmi les journalistes qui ont avalisé à ce coup d’état éditorialiste il y a un certain… Abdessamad Benchrif. Vous lisez cela et vous dites : non pas lui ! pas Abdessamad Benchrif! Lui aussi était homme intègre. Lui aussi était modèle des journalistes indépendants. Mais qui sait seulement que le présentateur de la principale émission politique de la deuxième chaîne de télévision est le chargé de communication du cabinet du président de la chambre des conseillers Mohamed Cheikh Biadillah secrétaire général du parti El Himma. Encore un mélange de genre étonnant. Encore un ! Encore une conversion inattendue. Encore une ! Tout est désormais possible et ça n’augure rien de bon.

(Ce billet a été co-écrit avec G.P. de Rabat)

Source : Comme une bouteille jetée à la mer


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