Maroc: La CEN-SAD contre l’influence de l’Algérie au Sahel

Maroc, Afrique, CEN-SAD, Union Africaine, Algérie, Sahel, Libye, Tunisie, Egypte,

L’ambassadeur du Maroc à Tripoli a fait part du souhait des autorités Libyennes de voir notre pays donner une nouvelle dynamique à la CEN-SAD. Ce message lui a été transmis par le chef de la Diplomatie libyenne qui soutient que seule la redynamisation de cet éspace peut mettre fin aux tentatives de mainmise sur la région de la part de l’Algérie et des autres puissances africaines qui la soutiennent.
Selon le résponsable libyen, la situation en Egypte, en Tunisie et en Lybie laissent les mains libres à l’Algérie et à ses alliés pour la domination de la région sahelo-saharienne et seul le Maroc à travers la CEN-SAD peut aider à faire contrepoids à cette hégémonie.
A cet effet, Ouali Tagma, le directeur du Département Afrique au MAE marocain a élaboré une fiche sur l’organisation avec des recommandations pour un plan d’action à court terme.

Fiche sur La CEN-SAD

1/ La conférence
Président en exercice actuel Président Tchadien DRISS DEBY ITNO

Décisions du dernier Sommet Extraordinaire ( NDJAMENA 16 FEVRIER 2013)  :

Adoption de la Convention révisée de la CEN-SAD
Deux nouveaux organes ont été institués  :
Le Conseil de Paix et de Sécurité  ;
Le Conseil du développement durable
La Conférence a demandé au Secrétariat Permanent de convoquer des réunions d’Experts pour la création effective de ces deux organes, et ce avant la tenue de la réunion du Conseil Exécutif prévue à Khartoum à la fin de l’année 2013.
La Conférence a décidé de tenir sa prochaine session ordinaire à Rabat en 2014.

Depuis la tenue de la dernière conférence, le Secrétariat Permanent n’a pas invité les pays membres à aucune réunion.

Aujourd’hui le constat est  :
Aucune réunion d’expert n’a été tenue pour l’exécution des recommandations de la dernière conférence  ;
La date de la prochaine réunion du Conseil Exécutif prévue à Khartoum n’a pas encore été arrêtée  ;

2/Le Secrétariat Permanent  : Son Siège est à Tripoli, sa direction est assurée par un Vice Secrétaire Général du Niger M. ABANI SANNI. Le Poste de Secrétaire permanent est vacant.

3/ Le Conseil Exécutif  : Sa dernière réunion a été tenue à N’Djamena juste avant la Conférence, la prochaine réunion est prévue à Khartoum, bien que la date n’ait pas encore été arrêtée.

4/la banque Sahélo saharienne pour le Développement et le Commerce

Son siège est à Tripoli, 14 pays participent au capital de la Banque (le Maroc n’y participe pas) son Directeur General est de Nationalité libyenne.

La Banque s’active, à travers des agences commerciales, dans les pays suivants  : Libye, Bénin, Burkina Faso, Centrafrique, Gambie, Ghana, Mali, Niger, Sénégal, Soudan, Tchad, Togo, Guinée Conakry, Côte d’Ivoire, et deux agences d’assurances en Libye et au Soudan.

5/ Le Conseil Economique, Culturel et Social
Son siège est à Bamako, à sa tête M. Moussa Bala Coulibaly de nationalité malienne.
Le conseil connaît beaucoup de problèmes d’ordre financier et n’arrive pas à honorer sa mission.

6/ le Conseil permanent de Paix et de Sécurité

7/ le Conseil du développement Durable

Recommandations  :

La CEN-SAD constitue l’une des principales priorités de la diplomatie marocaine en Afrique sur laquelle Sa Majesté le Roi, que Dieu l’assiste, a insisté dans son message à la Conférence des Ambassadeurs.

La mise en œuvre des Hautes Instructions Royales nécessitent d’entreprendre les actions suivantes pour la redynamisation de cet important espace pour le renforcement du positionnement de notre pays dans la zone sahélo saharienne.

1-Procéder à la nomination à Tripoli d’un Haut fonctionnaire pour aider le Vice Secrétaire Général à organiser la prochaine réunion du Conseil Exécutif, le prochain sommet et la mise en œuvre des décisions relatives à la création du Conseil de paix et de Sécurité et du Conseil de Développement Durable.

2- Préparer le terrain à la candidature de notre pays pour le Secrétariat Permanent

3-Mener les démarches nécessaires pour obtenir le siège du Conseil de Paix et de Sécurité et en prendre la Direction.
4-Elaborer en concertation avec le Secrétariat Permanent une stratégie Sahel qui sera le pendant et le complément des Stratégies UN et UE pour le Sahel.

5-Entreprendre des consultations avec les Etats membres et avec les autres partenaires (UN-UE-France-USA-CEDEAO) pour une coopération ciblée.

————————————————————————

Selon l’ancien ambassadeur américain à Rabat, Edward Gabriel, « depuis 2012, le Maroc tente discrètement de combler le vide de leadership au sein de la Communauté des États sahélo-sahariens (CEN-SAD) laissé par le renversement du colonel Kadhafi de Libye, en accueillant un sommet du groupement régional en octobre 2013. Plus récemment, la ministre adjointe des Affaires étrangères du Maroc, Mbarka Bouaida (qui se trouve être d’origine sahraouie), a eu de nouveaux entretiens avec le secrétaire général de la CEN-SAD au cours de la dernière semaine de janvier à Addis Abeba, où elle avait été envoyée pour mener des réunions informelles avec les délégations participant au 22e sommet de l’Union africaine (dont, bien sûr, le Maroc n’est pas membre) ».

Gabriel indique que « Kadhafi a contribué à la création de la CEN-SAD à la fin des années 1990, et a fourni la majeure partie de son financement. Irritée par les tendances hégémoniques de Kadhafi, l’Algérie – seule parmi les États de la région – est restée en dehors, mais le Maroc a adhéré à partir de 2001. En juin 2012, Rabat a accueilli une réunion de la CEN-SAD visant à relancer l’organisation récemment orpheline ».

Source : Boîte mail de Saadeddine El Othmani

#Maroc #CEN_SAD #Algérie #Sahel

Les enjeux de la Méditerranée occidentale

27/10/20 – HR/VP Blog – La Méditerranée occidentale a de tout temps été une région clé pour l’Europe et elle le restera. Mais pour que les relations entre les deux rives de la Méditerranée se développent de façon mutuellement profitable, il nous faudra réussir à combler ensemble le fossé qui tend à se creuser entre elles, notamment sur le plan économique.

La semaine dernière, j’ai été invité à participer à la réunion des ministres des affaires étrangères du groupe dit des 5+5 de Méditerranée occidentale. Ce Forum rassemble depuis trente ans maintenant, 5 pays de l’Union, l’Espagne, la France, l’Italie, Malte et le Portugal, et 5 pays du Sud de la Méditerranée, l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie.

Bien que cette structure soit informelle, elle permet de confronter les points de vue et de développer des partenariats autour d’une région, la Méditerranée occidentale, qui a joué dans le passé, joue aujourd’hui et jouera encore demain un rôle essentiel pour l’Union Européenne.

Les écarts se creusent entre l’Union et le Maghreb

Au cours de cette réunion j’ai été impressionné par la description qu’ont faite mes collègues des difficultés que traversent actuellement les pays du Sud de la Méditerranée. Les écarts de richesse entre les deux rives de notre mer commune, déjà considérables, s’accroissent. Les 102 millions d’habitants des 5 pays du Sud de la Méditerranée représentent un peu moins du quart de la population de l’Union mais leur PIB cumulé est 60 fois moins élevé que celui de l’Union. Autrement dit la richesse produite par habitant y est 13 fois plus faible qu’en Europe. Et même si on corrige cette différence des niveaux des prix, qui sont nettement plus bas de l’autre côté de la Méditerranée, l’écart des niveaux de vie reste encore quasiment de un à cinq.

Et surtout, le mouvement de rattrapage qu’on avait pu observer jusqu’au milieu des années 2000 s’est inversé depuis : en 2005, le niveau de vie moyen des habitants des 5 pays du Sud de la Méditerranée était 3 fois plus faible que celui des Européens, aujourd’hui il l’est presque 5 fois plus.

Une démographie dynamique

Cette stagnation des niveaux de vie n’est pas simplement liée aux difficultés des économies du Sud de la Méditerranée, elle est due aussi aux dynamiques démographiques : entre 1990 et 2019, la population des 5 pays du Maghreb s’est en effet accrue de 57 % quand celle de l’Union ne progressait que de 6%. La croissance des économies a eu du mal à suivre ce rythme.

De plus, ces chiffres se rapportent à l’année 2019. En 2020, la pandémie de COVID-19 a profondément affecté les économies du Maroc ou de la Tunisie, qui dépendent beaucoup du tourisme, de la sous-traitance automobile ou encore du textile. Tandis que la baisse du prix et des volumes des ventes d’hydrocarbures frappe durement celle de l’Algérie. Et tous les pays de la région souffrent de la forte diminution des transferts en provenance de leurs émigrés présents en Europe du fait de la crise.

« La Covid-19 s’est jouée des notions de Nord et de Sud : les pays les plus touchés au Nord sont au Sud de l’Europe, et les plus touchés au Sud sont au Nord de l’Afrique ». Nasser Bourita, ministre marocain des Affaires Etrangères

Comme l’a indiqué justement mon collègue, Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères du Maroc, au cours de notre rencontre : « la Covid-19 a durement frappé la Méditerranée occidentale. Elle s’est jouée des notions de Nord et de Sud : les pays les plus touchés au Nord sont au Sud de l’Europe, et les plus touchés au Sud sont au Nord de l’Afrique ».

Tant que le niveau de vie stagnera au Sud de la Méditerranée et que l’écart se creusera entre ses deux rives, il sera difficile d’éviter le développement de l’instabilité politique et sociale sur l’autre rive et les mouvements migratoires vers l’Europe. Il est donc dans l’intérêt des Européens de contribuer activement à inverser cette tendance, dans le respect bien entendu de la souveraineté de chacun.

« Les profondes difficultés de cette région tiennent en particulier au « non Maghreb ». Celui-ci reste en effet l’une des régions les moins intégrées en termes économiques. »

Les causes de ces profondes difficultés sont nombreuses. Elles tiennent néanmoins pour une part importante au « non Maghreb ». Cette région reste en effet l’une des moins intégrées au monde en termes économiques : les échanges entre les pays du Maghreb sont estimés à un quart de leur potentiel. En 2012, nous avions proposé un large éventail de mesures pour favoriser cette intégration régionale et encourager une coopération plus étroite avec l’UE.

Les conflits persistent

Huit ans plus tard, les relations bilatérales certes ont gagné en maturité et la coopération s’est étendue à des questions essentielles comme le changement climatique. Néanmoins, les efforts déployés n’ont eu que des effets limités. Les conflits persistants et les intérêts divergents entre les pays de la région ont prévalu sur les efforts de coopération en vue de résoudre des difficultés communes. Cela n’a pas permis en particulier de répondre aux attentes d’une population jeune et éduquée en pleine croissance.

Pour ne rien arranger, les relations commerciales avec l’Europe ne se sont pas développées. Elles ont au contraire sensiblement décliné depuis la fin de la décennie 2000. Aujourd’hui le commerce extérieur avec ces pays ne représente que de l’ordre de 3 % du total des échanges de l’Union. Les exportations de l’Union vers le Maghreb pèsent 8 fois moins par exemple que celles vers les Etats Unis.

Une dynamique à inverser d’urgence

Il nous faudra impérativement réussir à inverser ensemble cette dynamique pour faire en sorte que la sortie de la crise du COVID-19 soit à la fois numérique, écologique et équitable des deux côtés de la Méditerranée. Notre coopération avec le Maghreb se développe dans un contexte international de plus en plus incertain – voire conflictuel: relocalisations et souveraineté économique sont désormais devenus des thèmes dominants dans le monde entier.

« L’Europe n’a pas l’intention de se replier sur son pré-carré. Notre volonté de reconquérir une plus grande souveraineté économique peut être une chance pour le Maghreb. »

Mais notre volonté de reconquérir une plus grande souveraineté économique pour l’Europe peut être un atout pour le développement du Maghreb. L’Europe n’a pas l’intention en effet de se replier sur son pré-carré : il s’agit de produire des richesses en lien étroit avec nos voisins immédiats pour tirer profit de nos complémentarités et améliorer ensemble notre niveau de vie et le nombre de nos emplois. Il reste cependant encore beaucoup à faire, notamment en termes de réformes politiques et économiques, pour réussir à attirer les investisseurs étrangers dans les pays du Maghreb.

Une instabilité politique et sécuritaire croissante

Ces difficultés économiques et sociales persistantes sont allées de pair avec une instabilité politique qui s’est traduite en particulier par les affrontements internes en Libye et le déploiement du terrorisme islamique dans tout le Sahel. Cela a amené l’Union à développer sa coopération avec la région en matière de sécurité.

L’Algérie la Tunisie et le Maroc participent à plusieurs programmes européens en matière de lutte contre le terrorisme. La coopération se poursuit aussi en matière de lutte contre la criminalité organisée. Aux côtés des pays de la région, l’Union participe enfin activement au processus de Berlin pour la Libye, piloté par les Nations unies, pour rétablir la paix et la stabilité en Libye. En mars dernier, l’UE a ainsi lancé l’opération Irini pour contribuer à faire respecter l’embargo sur les armes, décidé par les Nations unies, mais aussi pour combattre la contrebande et le trafic d’êtres humains.

« Il y a lieu de se réjouir des derniers développements en Libye : grâce notamment aux efforts des pays du Maghreb, la voie de la négociation semble prévaloir. »

Il y a lieu de se réjouir des derniers développements en Libye : grâce notamment aux efforts des pays du Maghreb, la voie de la négociation semble prévaloir. Elle l’emportera si les Libyens parviennent à trouver par eux-mêmes des solutions. Les Nations Unies et l’Union européenne apporteront tout le soutien nécessaire à leurs efforts de compromis. Nous avons évidemment bien conscience cependant que ces défis sécuritaires ne pourront être relevés dans le long terme que si on s’attaque en même temps à leurs causes structurelles à travers de profondes réformes politiques et socio-économiques.

Les migrations doivent se faire de façon ordonnée

Nos sociétés et nos peuples sont étroitement liés, des millions de citoyens des pays du Maghreb vivent légalement dans les pays de l’Union Européenne. Ces pays sont confrontés également de pressions migratoires venant de pays d’Afrique subsaharienne. Nous devons renforcer davantage notre coopération avec les pays d’origine et de transit pour assurer que ces mouvements migratoires se fassent de façon ordonnée. C’est le but des dialogues migratoires que nous chercherons à développer avec les pays du Maghreb, en s’appuyant sur les coopération solides qui existent déjà dans ce domaine.

Cette réunion informelle m’a permis de mieux cerner les graves difficultés que traversent actuellement nos voisins du Sud de la Méditerranée et les énormes enjeux liés au développement de nos relations. Elle ne constituait cependant qu’une première étape avant une autre échéance importante : le Forum Régional de l’Union pour la Méditerranée qui se tiendra le 27 novembre prochain.

Le 27 novembre : les 25 ans du processus de Barcelone

Avec nos partenaires de l’ensemble du pourtour méditerranéen cette fois, nous dresserons le bilan de 25 années du processus de coopération régionale dit de Barcelone. A cette occasion, l’Union confirmera sa détermination à faire de la Méditerranée une région plus sûre, plus prospère et plus stable. J’ai pleinement conscience que les actions menées en ce sens depuis un quart de siècle n’ont eu que des résultats limités et que la tâche s’annonce particulièrement rude pour les mois qui viennent…

Source : EEAS, 27 oct 2020

Tags : Mediterranée, Union Europea, UE, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, Egypte, Union pour le Méditerranée, UpM, Processus de Barcelone,

Le sexe et les femmes au Maroc et en Algérie

La question sexuelle et les femmes au Maghreb et en Méditerranée

Le problème de la femme au Maghreb n’est qu’un épiphénomène d’un problème plus englobant qu’est la question sexuelle. Les femmes ne sont dominées que pour pouvoir être contrôlées dans leur sexualité (tout en contrôlant en même temps celle des hommes), sexualité devenue fondement de la hurma, c’est-à-dire de l’honneur féminin. La sexualité est prise en otage dans une joute sociale dont l’enjeu consiste à défendre l’honneur du groupe familial, placé d’abord dans la pudeur et la virginité féminines. Plus une Famille contrôle ses femmes, plus son capital de réputation augmente (sinon, c’est une mauvaise famille, famille de p…). Un vrai homme, qui « lève sa tête devant les gens » (je traduis des propos courants), c’est celui qui « a pouvoir sur ses femmes ». « Maîtrise tes femmes » est une insulte en collectivité.

Vieux_KabyleOr, les familles sont des institutions idéologiques tout entières orientées vers le dénigrement des autres familles rivales. Il s’ensuit une compétition symbolique pour la « respectabilité », la réputation et l’honneur. Un groupe familial qui trouve moyen pour diminuer l’honneur de son adversaire ne se fait pas prier. Or, les femmes sont le point faible, la brèche que l’ennemi présente et il faut en profiter pour le descendre. « Je lui ai niqué sa femme à celui-là » disent les hommes entre eux. Et le fait de faire l’amour avec la femme du concerné n’est pas seulement un acte de plaisir ou de tendresse avec elle, c’est surtout un acte de guerre symbolique destiné à amoindrir la réputation ou, mieux, le capital d’honneur, de son mari (ou de son frère, etc.). Faire l’amour, c’est attenter gravement (et souvent délibérément) à la réputation des familles.

Le soi-disant intérêt des hommes à dominer les femmes n’est ni économique (une femme qui reste à la maison est une charge et un gain en moins), ni politique (le pouvoir que l’on a sur les « femelles » s’avère être une charge écrasante). C’est un intérêt d’honneur, le groupe défendant son image extérieure à travers l’image qu’il veut irréprochable de ses femmes.

Un tel système fonctionnait avec ses injustices dans une société agraire où l’on se mariait très tôt et où les groupes vivaient dans une économie relativement vivrière. Le changement social et économique a conduit à un accroissement des besoins. Un jeune homme ne se marie plus s’il n’a pas d’appartement. Une épouse accepte rarement d’être simple membre de la famille nombreuse de son mari. Mais le célibat prolongé, né des nouvelles données socio-économiques, continue à perdurer dans l’ancien système social traditionnel caractérisé par une économie de l’honneur dont les femmes sont les dépositaires.

Les femmes étant retirées de la circulation, l’espace public est devenu de facto masculin. Mais si un jeune homme du temps du Prophète avait ses quatre épouses, si un jeune Algérien des années cinquante avait sa femme légitime, le jeune Algérien de l’an 2000 n’a plus rien pour sa sexualité (au sens large : affection, amour, sexe, etc.) car elle lui a été confisquée sans contre-partie par l’honneur de la tribu.

Il s’ensuit une séparation terrible des sexes malgré des apparences de mixité et une famine sexuelle générale, du côté des hommes, comme du côté des femmes, enfermées ou contrôlées dans leurs déplacements. La prostitution et l’homosexualité se sont développées pour colmater une infime partie de cette demande sociale. L’état de famine générale produit des dégâts sur les enfants (pédophilie), sur les animaux (zoophilie maghrébine bien connue) et sur la santé mentale (troubles psychiatriques).chaouia1pt_1_

Cette société a pris le soin d’adopter le système religieux qui sert ses tendances profondes. C’est l’islam orthodoxe, sunnite et malékite, qui sera élu. Rien d’étonnant car l’islam chiite, bien qu’ayant des racines historiques lointaines au Maghreb (Fatimides), est éliminé, car jugé peu ferme en matière sexuelle : il tolère le mariage de joie, c’est à dire il légitime la sexualité entre jeunes gens, chose que la logique de l’honneur ne peut admettre. Le sunnisme lui-même est expurgé de ses points jugés incompatibles : le prophète n’a-t-il pas dans un hadith célèbre et certifié autorisé ses combattants à faire l’amour avec les prisonnières, dressant par là une exception en cas d’impérieux besoins. Ce sont des côtés soigneusement oblitérés. Bref, la religion s’est trouvée ainsi instrumentée à des fins de répression sexuelle.

L’état est composé de gens issus de la société et anthropologiquement formés à l’école de l’honneur. Ils reproduisent, dans le système judiciaire, dans les institutions de l’état et dans le fonctionnement des divers appareils, les impératifs de l’honneur. C’est ainsi que les couples non mariés sont jugés et condamnés, la présidence de la République algérienne ordonne la chasse aux couples et la justice se montre infiniment complaisante avec les criminels de l’honneur (l’idée de tuer un intrus qui a pénétré à l’intérieur de la maison, la nuit, (entendre : un homme qui a intentionnellement voulu attenter à l’honneur du groupe) est passée dans la croyance populaire comme étant un droit légitime.

Un intellectuel a peur de parler de problème sexuel parce qu’en le faisant, il donne aussi par la même occasion le droit à sa soeur de coucher avec un étranger, ce qui équivaut à ouvrir une brèche dans son honneur social et à saper sa réputation. Les groupes rivaux se surveillent en effet et chacun n’hésite pas à entamer la réputation de l’adversaire à la moindre occasion. L’intellectuel parle alors de façon voilée de condition des femmes, mais aussi de façon euphémique, limitée et surtout politiquement correcte : personne ne pourra attaquer sa réputation avec cela. Et, bien entendu, ce n’est pas avec des euphémismes que l’on provoque les vrais changements ou les vrais débats.

Au bout du compte, à qui profite le système ? Aux hommes? Je ne le crois pas. Ils se débattent dans une affreuse misère affective parce que les femmes auprès desquelles ils devaient prendre satisfaction sont préalablement enfermées ou limitées de déplacement et de liberté. Les femmes, et parmi elles se trouvent de grandes militantes du système traditionnel, se rabattent sur les animaux domestiques et l’homosexualité. Dans certaines cités universitaires en Algérie, les étudiantes achetaient des sacs de lait et se les faisaient déverser sur leurs poitrines avant d’appeler les chats. Je ne sais pas ce que ça fait comme sensation d’être léchée par un chat à cet endroit, mais je suis certain qu’un tel comportement est celui d’un être lésé dans ses droits humains fondamentaux, celui d’utiliser comme il l’entend son propre corps. Je ne parle pas de l’hystérie nocturne du ciel algérois, qui voit fuser jusqu’aux étoiles les youyous de la frustration féminine émanant des cités universitaires non mixtes.

Je pense que c’est un système qui ne sert personne. Il est tout simplement devenu caduc et malade, car les conditions pour lesquelles il était engendré ont presque disparu. Il continue à fonctionner dans un autre contexte, de façon anachronique, en générant énormément de souffrance, comme un moteur d’une deux chevaux qu’on met pour un bus de voyageurs futuriste.

Maintenant, supposons que le problème de la sexualité soit réglé, que l’honneur n’ait plus comme siège la virginité des femmes, que les groupes cessent de s’attaquer sur cette question, que les gens consentants soient publiquement tolérés et légitimés dans leur sexualité. Pensez-vous que les femmes seraient interdites/limitées de déplacements, de travail, de liberté, etc. ???.

Je ne le crois pas. Ce sera l’avènement d’une autre société, avec sûrement d’autres inégal ités, d’autres combats à faire, mais pas celui-là. Il y aura le chômage, la lutte pour l’emploi, etc. mais jamais d’enfermement, de limitation de déplacement ou de liberté.

En définitive, cette condition n’est que la conséquence pratique de la question sexuelle. Alors, il faut arrêter de dire que les hommes dominent les femmes pour profiter de je ne sais quels privilèges. Que les hommes ont tout et les femmes rien. Qu’est ce qu’ils ont et qu’ils n’auraient pas sans cette domination ? Arrêter de faire de miséreux affectifs et sexuels des sultans divinement privilégiés, à la faveur d’un imaginaire grossièrement orientaliste. Car les femmes ne sont jamais mieux dominées que par d’autres femmes (Voir le rapport mères/filles par exemple). Mais surtout parce que si les femmes sont enfermées, c’est à cause de ce quelque chose qu’elles portent entre leurs jambes ! La société maghrébine a eu l’idée la plus saugrenue sur la terre qui consiste à placer son honneur justement là ou il ne fallait pas. La femme n’est donc partout sanctionnée qu’en tant que porteuse de sexe (et source de déshonneur possible pour tout le groupe). Pas en tant que femme. Mais cette sanction, déteint sur l’homme, ce qu’on oublie de souligner. En l’absence de femmes, il n’aime pas, il ne travaille pas, il ne baise pas, il souffre, il devient agressif et prêt à être enrôlé dans les fanatismes les plus sanguinaires.

Naravas

Source : Angles de vue, 20 janvier 2008

Tags : Maroc, Algérie, Mauritanie, Tunisie, Libye, Egypte, monde arabe, Islam, musulmans, sexe, femme, virginité, Maghreb, société,

ONU : En réponse aux questions sur les accords conclus sur la Libye

En réponse aux questions sur les accords conclus entre les parties libyennes au Maroc, le porte-parole a déclaré:

Nous nous félicitons des accords conclus entre les membres de la Chambre des représentants libyenne et le Haut Conseil d’État à Bouznika, au Maroc, concernant les exigences et le mécanisme de nomination des postes souverains conformément à l’Accord politique libyen.

Nous apprécions tous les efforts visant à rassembler les Libyens pour aborder d’éventuelles questions litigieuses, y compris ces pourparlers au Maroc ainsi que les pourparlers qui ont eu lieu en Suisse (à Montreux) et en Égypte (au Caire et à Hurghada).

Nous pensons que tous ces efforts ouvrent la voie à la convocation du Forum de dialogue politique libyen facilité par la MANUL, que nous prévoyons de tenir dans les semaines à venir.

Source : ONU, 7 oct 2020 (traduction non officielle)

Tags : Libye, Maroc, Egypte, Bouznika, Hurghada, MANUL, ONU, négociations,

L’envoyé de l’ONU en Libye salue le «développement positif» des pourparlers d’Hurghada

La représentante spéciale de l’ONU pour la Libye, Stephanie Williams, a salué dimanche le «développement positif» observé lors des pourparlers entre les parties en guerre dans la ville balnéaire de la mer Rouge à Hurghada.

Williams, s’adressant à Asharq Al-Awsat, a souligné que la confiance s’établissait entre les délégations libyennes à Hurghada, espérant que les négociations se termineraient par «un accord de cessez-le-feu permanent».

Elle a noté que l’accord de cessez-le-feu, conclu en août, entre le chef du gouvernement d’accord national (GNA) basé à Tripoli, Fayez Al-Sarraj et la présidente de la Chambre des représentants basée à Tobrouk, Aguila Saleh, a conduit les Libyens eux-mêmes à suggérer de tenir des pourparlers en Egypte.

Les discussions précédentes à Hurghada – qui ont eu lieu fin septembre – ont vu un accord entre les parties libyennes pour travailler à la libération de tous les prisonniers et protéger les installations pétrolières et gazières de l’État nord-africain pour reprendre complètement les activités de production et d’exportation.

Williams a ajouté que la plupart des parties libyennes sont «maintenant plus convaincues que jamais que la solution au conflit doit être« politique »», soulignant que l’intervention militaire et l’imposition de blocus sur les ressources naturelles n’ont pas abouti à des résultats positifs.

«Il ne reste aux Libyens qu’une solution politique pour résoudre leurs désaccords et leurs divisions. Construire un État qui inclut tout le monde et permet aux gens de vivre dignement », a souligné Williams.

La Libye est divisée entre deux autorités à Tripoli et à Tobrouk depuis six ans. Alors que le GNA est basé à Tripoli, la capitale, l’Armée nationale libyenne (ANL) de Khalifa Haftar contrôle l’est et est alliée à la Chambre des représentants basée à Tobrouk.

La LNA est soutenue par l’Égypte, les Émirats arabes unis, la France et la Russie; tandis que le GNA est soutenu par la Turquie, le Qatar et des milliers de mercenaires syriens.

Le 22 août, les deux parties au conflit ont déclaré un cessez-le-feu qui a mis fin aux craintes d’une éventuelle agression du GNA contre la ville portuaire de Syrte, à 370 kilomètres à l’est de la capitale Tripoli et Jufra, qui possède une importante base aérienne militaire.

Le chef du GNA, Al-Sarraj, a annoncé sur Facebook qu’il « avait donné des instructions à toutes les forces militaires pour qu’elles cessent immédiatement le feu et les opérations de combat dans tous les territoires libyens ».

Saleh a annoncé un cessez-le-feu qui a été salué par les dirigeants mondiaux. Les deux parties en guerre ont convenu de tenir des élections en mars 2021.

Les pourparlers à Hurghada font suite à une série de diplomaties antérieures dans la ville côtière marocaine de Bouznika, au sud de la capitale Rabat, le mois dernier. À Bouznika, les deux parties se sont entendues sur les «critères, mécanismes transparents et objectifs» pour les postes de pouvoir clés.

Après les pourparlers du Maroc, Williams a appelé la « communauté internationale à assumer ses responsabilités pour soutenir ce processus et à respecter sans équivoque le droit souverain du peuple libyen à déterminer son avenir ».

Source : Ahram ONline, 4 oct 2020

Tags : Libye, Egypte, GNA, Tripoli, Benghazi, Turquie, Stephanie Williams, ONU, UNO, 

Conflit en Libye – Haftar : une guerre par procuration

par Ghania Oukazi


Prises de court par la décision du maréchal Haftar de rejeter l’accord de Skhirat et de s’introniser en «chef unique du peuple libyen», l’Algérie, l’ONU et la Ligue arabe ont rappelé la nécessité de mettre fin à la guerre en Libye.

Lundi dernier, le maréchal Khalifa Haftar a annoncé son retrait de l’accord politique de Skhirat (Maroc) et s’est déclaré représentant unique du peuple libyen. «J’ai accepté la volonté populaire et son mandat pour assumer cette mission historique et dans ces circonstances exceptionnelles malgré la lourdeur de la tâche et l’ampleur de la responsabilité, nous nous soumettons aux souhaits du peuple afin de mettre un terme à l’accord politique. Désormais il fait partie du passé conformément à une décision du peuple libyen, la seule source du pouvoir(…)», a-t-il dit dans un discours diffusé sur un de ses supports médiatiques. Le président du GNA (Gouvernement d’union nationale), Fayez Essaraj, a considéré la sortie de son ennemi conjoncturel comme une «farce et un nouveau coup d’Etat qui s’ajoute à une série d’autres ayant commencé il y a des années».

Pour en être une «escalade des positions entre les parties en conflit» comme l’a dit l’Algérie, c’en est une -nouvelle- qui vient agiter encore un échiquier jusque-là maintenu précairement contre toutes les tentatives extérieures de son éclatement en faveur d’une partie ou d’une autre, le GNA de Fayez Esseraj ou l’ANL de Khalifa Haftar. Ce dernier a préféré le fait accompli en déclarant sa suprématie sur un pays fortement secoué par de dramatiques ingérences étrangères.

«L’Algérie suit avec une grande préoccupation les derniers développements (…)», rapportait jeudi un communiqué du ministère des Affaires étrangères. Le même jour, dans une conférence de presse tenue à distance par le porte-parole de son secrétaire général, l’ONU s’est dit «très inquiète et préoccupée par la situation en Libye» et note que «l’accord politique libyen est l’unique cadre international reconnaissant la situation actuelle dans le pays».

Ces ingérences qui alimentent les conflits

Mercredi dernier, c’est le secrétaire général de la Ligue arabe qui a rejeté «toute action militaire visant à ramener la paix et la stabilité dans ce pays en proie à la guerre depuis neuf ans» et a appelé à une trêve humanitaire «notamment pendant le mois sacré du Ramadan». Et la considérant comme «source qui alimente les conflits», Aboul-Gheit a dénoncé «toute intervention militaire étrangère violant les lois internationales».

Des rappels s’imposent. L’accord de Skhirat a été conclu le 17 décembre 2015 sous l’égide de l’ONU après plusieurs rounds de négociations entre les différentes parties libyennes et a porté sur la mise en place d’un gouvernement d’union nationale (GNA) libyen basé à Tripoli. Reconnu par la communauté internationale comme seul représentant légitime du peuple libyen mais pas par le parlement de Tobrouk (Est du pays), le GNA que préside Fayez Essaraj repousse depuis le 5 avril 2019 une offensive guerrière menée par le maréchal Haftar pour prendre la capitale et les régions qu’il n’a pas encore conquises. Il est vrai que Haftar essuie depuis de longs mois des revers cinglants notamment depuis que les forces militaires turques ont pris position en Libye. Mais faut-il rappeler surtout que ce sont certains pays issus de la communauté internationale et d’autres arabes qui depuis quelques années font en sorte d’opposer Haftar. C’est depuis l’assassinat du colonel Maamar Kadhafi en 2011 par les services français sous les pressions de Sarkozy alors président de la République, que la Libye vit les plus dures années de déchirement de son histoire.

En septembre 2018, Haftar a lâché, sous prétexte qu’il y a eu des incursions militaires algériennes en Libye, que «lorsque nous avons découvert cela, j’ai envoyé le général Abdelkrim en Algérie pour expliquer que ce qui avait été fait n’était pas fraternel. Nous pouvons transférer la guerre de l’est à l’ouest en peu de temps».

Des enjeux complexes et compliqués pour l’Algérie

Bien que préoccupés par la pandémie du Covid-19, les pays aux ingérences interminables en Libye continuent ainsi d’attiser le feu entre les antagonistes libyens aux fins de préserver leurs intérêts et de perturber toute une région où l’Algérie trône sur deux millions de m2 et protège militairement ses frontières avec la Libye longues de près de 1000 km. Les enjeux, complexes et compliqués qu’ils sont, devraient pourtant l’obliger à revoir un grand nombre de ses principes entre autres fondamentaux sur lesquels elle a tenté de construire son Etat social conformément à la lettre de Novembre. Il ne devrait plus être question pour elle de se contenter de condamner, dénoncer ou rappeler des résolutions onusiennes ignorées par ceux-là mêmes des membres du Conseil de sécurité qui lui votent. La Palestine occupée en est un exemple frappant de l’impuissance de l’ONU à préserver le monde de la folie de va-t-en-guerre à la tête d’Etats voyous et criminels. C’est une guerre de position dans laquelle l’Algérie se doit de se mettre en faction effective pour se protéger contre toute tentative de déstabilisation de ses territoires.

En décembre 2019, Tebboune réunissait le Haut Conseil de sécurité pour, entre autres, «examiner la situation au Mali et en Libye». A cette occasion, il a évoqué «une batterie de mesures à prendre pour la protection de nos frontières et notre territoire national et la redynamisation du rôle de l’Algérie au plan international, particulièrement en ce qui concerne ces deux dossiers, et de manière générale dans le Sahel, la région saharienne et l’Afrique». Le président de la République a eu aussi à affirmer que «rien ne se fera en Libye sans l’Algérie ni contre l’Algérie». Qualifiés de «fermes», les propos du chef de l’Etat devraient augurer d’une redéfinition de la stratégie nationale militaire en fonction des lourdes menaces qui pèsent sur la région. Menaces qui devraient pousser Tebboune jusqu’à même reformuler des principes constitutionnels jusque-là considérés comme immuables pour que l’Algérie puisse se défendre. Ceci, parce que le monde de l’après Covid-19 ne sera pas moins provocateur ni moins destructeur de ce qu’il en a été à ce jour, régenté qu’il est par ceux qui se sont érigés en «communauté internationale» et dont les intérêts ne s’accommodent ni de stabilité ni de paix.

Le Quotidien d’Oran, 2 mai 2020

Tags : Libye, Haftar, Egypte, Emirats Arabes Unis, Algérie, Turquie,

Maroc : Craintes géopolitiques

Suite à votre courrier Nº614, j’ai l’honneur de porter à votre connaissance les appréciations et les suggestions suivantes :

A la lumière des événements internationaux, il semblerait que la diplomatie marocaine soit confrontée, dans un avenir, plus ou moins proche, à des contraintes objectives qui seront autant de menaces directes pour le rayonnement du Royaume dans ses zones traditionnelles d’influence.

Plusieurs éléments seront indispensables à analyser de manière à permettre une réponse adaptée et un réajustement de nos objectifs.

Il conviendra de se pencher sur les aspects suivants :

1) Plus que la réintégration de l’Iran et la fin de son isolement sur la scène internationale, il faudra prendre note du nouveau rôle qui lui semble être dévolu par les Etats-Unis de devenir le nouveau gendarme des pays Arabes et musulmans de la région ;

2 ) La gestion en conséquence (notamment pour notre question nationale) du déclin de l’Arabie Saoudite dont la marge de manœuvre est appelée à se réduire de plus en plus ;

3) L gestion du conflit israélo-palestinien pour ce qui concerne la réduction des risques, des actions et du discours extrémistes notamment à l’égard des juifs marocains ;

4) La montée en puissance de l’Egypte qui se positionne, d’ores et déjà, comme l’interlocuteur solide des américains, d’Israël et des occidentaux pour ce qui concerne le Proche et Moyen Orient ;

5) Le rapprochement sans précédent qui semble se dessiner entre l’Algérie et l’Egypte. Ledit rapprochement envisage une stratégie conjointe pour amplifier leur influence aussi bien vis-à-vis des américains qu’à l’égard du continent africain ;

6) Ce rapprochement présenterait également un réel danger pour ce qui concerne l’éventuelle réactivation de l’UMA avec la possibilité d’une Egypte qui, cette fois-ci, deviendrait officiellement membre à part entière de l’Union ;

7) Pour l’Algérie et l’Egypte, le Maroc représente d’autant plus un danger qu’il est désormais l’unique pays arabe à avoir un Chef de gouvernement islamiste. De même que le Maroc est à combattre en raison du système de sa gouvernance et de ses institutions démocratiques ;

8) Pour ces deux raisons majeures, il faudra s’attendre à une coordination et à une synchronisation de ces deux Etats pour affaiblir le Royaume en s’attaquant particulièrement à la question nationale (sur le plan intérieur et international) ;

9) De même, l’éclatement possible (parfois de fait) de certains pays arabes risque de poser la problématique de l’accès à l’indépendance de certaines entités (Kurdistan ou autres) ;

10) On se rappelle que lorsque le président Obama avait accédé au pouvoir, il ne parlait que de droits de l’homme, démocratie etc… Idem pour le président Hollande, par exemple. Aujourd’hui, confrontés aux menaces intérieures, ce discours est dépassé voire même dérangeant. Désormais, les priorités ne sont plus d’ordre démocratique mais sécuritaire.

Compte tenu de ces quelques éléments soulevés, je me permets de suggérer ce qui suit :

1- Il est plus nécessaire que jamais, pour les raisons évoquées, ci-dessus, que le Royaume revoir la structure de son appareil diplomatique pour renforcer et dynamiser sa stratégie en vue de faire face aux multiples défis qui l’attendent ;

2- Sur le plan culturel, une stratégie globale doit être établie à l’égard de la jeunesse marocaine qui réside à l’étranger et qui est appelée tôt ou tard à retourner au Maroc. Cette jeunesse « handicapée sur le plan culturel et éducatif » est confrontée à la perte (extrêmement dangereuse) de son identité marocaine ;

3- Au vu du contexte international difficile et de l’évolution négative de certains dossiers (Palestine/Israël notamment) et aux fins d’éviter tout dérapage, la sensibilisation et la mobilisation de notre colonie à l’étranger s’impose. Ceci est d’autant plus nécessaire que le Royaume est à la veille d’élections municipales.

4- Notre stratégie devrait également reposer sur une coordination étroite entre les Ambassades et les Consulats ;

5- Pour ce qui concerne la question nationale, plusieurs actions peuvent être engagées, à savoir :

-Renforcement de la présence du Maroc au sein des organisation internationales (ONU, CDH, CICR, UNESCO etc). Il s’agira, entre autres,d’identifier les postes disponibles à pourvoir et d’établir un fichier actualisé de personnalités et compétences à placer.

-Au niveau du Conseil de Sécurité : il s’agira, d’une part, de renforcer notre coopération aussi bien avec la Chine que la Russie pour équilibrer le rapport de force au sein des P5 et d’autre part, et dès à présent, cibler et pousser les pays amis à présenter leur candidature au Conseil de Sécurité.

-Pour ce qui concerne le poste de Secrétaire Général des Nations Unies, il s’agira, dès à présent, « d’encadrer » tous les candidats (déclarés ou non) à ce poste.

-Au niveau du Département : assurer des briefings réguliers aux Ambassadeurs accrédités de façon qu’ils communiquent à leurs capitales des informations obtenues à la source. De la même manière, informer notre appareil diplomatique de la teneur des comptes et des questions posées.

6 – Pour ce qui concerne la région Arabe et l’Afrique, les circonstances actuelles nous interpellent quant à l’envoi programmé et régulier de délégations de hauts responsables de notre Département pour assurer un contact permanent et sur place en vue du renforcement de notre présence sur le terrain et pour permettre aussi bien l’évaluation de l’état de notre coopération que celui de l’évolution politique du pays ciblé ;

7 – Enfin, et pour ce qui concerne la formation des futurs diplômés de notre Académie diplomatique, il serait intéressant que, dans leur cursus, soient intégrés – et avant l’obtention de leurs diplômes- des stages auprès nos postes diplomatiques et consulaires à l’étranger .

Zohour Alaoui
Ambassadeur déléguée permanente

Tags : Maroc, diplomatie, Egypte, Frères musulmans, Arabie Saoudite, Iran,

La France est pour « l’intégration des Frères Musulmans dans le jeu politique en Egypte »

Le fidèle et dévoué serviteur de Sa Majesté Le Roi a l’insigne honneur de porter à la Très Haute Attention Royale que le Chargé d’Affaires a.i. près l’Ambassade de France à Rabat a été reçu, à sa demande, au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, aux fins d’une démarche officielle sur instruction du Quai d’Orsay.

Le propos de cette démarche était, d’une part, de communiquer la position de la France concernant les développements que connait l’Egypte et, d’autre part, de partager ses idées concernant de possible voies de sortie de crise.
Sur le premier point, la France se dit hautement préoccupée par la situation en Egypte, et craint une « spirale de violence » qui conduirait à un « scénario à la syrienne ».

Autant que les préoccupations d’ordre interne à l’Egypte, Paris s’inquiète des conséquences régionales que pourrait avoir un « débordement de la situation », notamment envers Israël.

Ces préoccupations régionales semblent partagées par les grandes puissances.

Individuellement et au sein du Conseil de Sécurité de l’O NU , ces grandes puissances – et en particulier les Etats-Unis et la Russie – convergent sur des positions qualifiée (par mon interlocuteur) de « très durs » à l’égard de l’action du Gouvernement intérimaire en Egypte. Le diplomate français m’a confié que son pays a été approché par l’Egypte, pour qui les démarches russes et américaines au Conseil de Sécurité constituent des « gestes inamicaux ».

Mais, tout en concédant volontiers que « l’heure est à la fermeté » à l’égard des Autorités du Caire, la France considère, tout à la fois, « l’escalade des pressions à l’extérieur et la montée des violences à l’intérieur », comme autant de sources de danger.

En particulier, le Quai d’Orsay se dit opposé à des sanctions qui, selon lui, seraient contreproductives dans le cas présent.

A titre alternatif, il défend la voie d’une médiation – dont les contours ne semblent pas encore définis avec précision, mais dont l’objectif serait d’attirer les partis à négocier un compromis articulé autour de la libération du Président destitué Mohamed M ORSI d’une part, et de l’organisation d’élections libres d’autre part. A cet égard, le souhait de M. Laurent FABIUS est de favoriser une désescalade des violences, et de pousser les autorités égyptiennes à concéder des « gestes concrets » d’apaisement qui aillent au-delà des déclarations.

Dans cet esprit, Paris est d’avis que l’attitude de fermeté affichée face aux
gouvernants de l’Egypte gagnerait à être calibrée pour servir un objectif de « pression productive ». Défendant qu’il est « dans l’intérêt du gouvernement égyptien d’avoir une communauté internationale qui appelle à l’arrêt de l’escalade de violence », la France souhaite que le Conseil de Sécurité parvienne à une position forte et commune sur la situation en Egypte.Dans l’approche française, une telle « expression internationale » serait, en soi, un début de sortie de crise, en ce sens qu’elle permettrait de « colmater les brèches » apparues dans la volonté de la Communauté internationale, permettant, ainsi, le ré-enclenchement d’une médiation internationale qui prendrait le relais des tentatives de l’Union européenne et des Etats-Unis.

Sans décliner de « Plan » précis, le diplomate français a soulevé, avec insistance, l’idée de la mise en place d’une médiation à l’initiative de 2 ou 3 pays importants, suggérant – sans toutefois préciser si c’est là une proposition de ses Autorités – que le Maroc pourrait avoir un rôle à jouer en tant que « voie médiane », étant l’un des premiers pays arabes à avoir réagi à la situation en Egypte.

Par ailleurs, les éléments d’information recueillis par le Quai d’Orsay auprès du Ministre Egyptien des Affaires étrangères, M. Nabil F AHMY , concernant la position des Autorités du Caire, convergent avec ceux que j’ai recueillis auprès de l’Ambassadeur d’Egypte à Rabat, à savoir que « la situation étaient complexe, que la responsabilité incombait aux frères musulmans, qui souhaitent une escalade de la violence, que le rétablissement de la paix dépendait de la situation sécuritaire et que la balle était dans le camp des frères musulmans ».

Néanmoins, l’analyse du Quai d’Orsay tend à considérer que « la réussite de la transition démocratique n’est pas possible sans les frères musulmans […] qu’il faut intégrer dans le jeu politique pour pouvoir les neutraliser ». En cela, la conviction de Paris semble être que « les événements qu’a connu le monde arabe en 2011 ont un caractère irréversible, qui rend impossible tout retour en arrière ». En l’occurrence, toute remise en place du système
égyptien tel qu’il existait avant 2011, serait inenvisageable.

Enfin, le diplomate français n’a pas manqué de revenir sur le Sommet France-Afrique, prévu les 6 et 7 décembre 2013, et devrait s’articuler autour de trois thématiques principales, à savoir : la sécurité et la paix en Afrique ; l’économie et le développement ; et la question climatique. Le message relayé par mon interlocuteur est que la France accorde une grande importance à la présence personnelle de Sa Majesté Le Roi à ce Sommet.

Source : Document confidentiel de la diplomatie marocaine

Tags : France, Frères Musulmans, Egypte, Al Sissi, islamisme,

Libye : les occidentaux cumulent naïveté et erreurs géopolitiques en série

Alors que la « communauté internationale » soutient toujours le gouvernement d’Al-Sarraj (Frères-musulmans et pro-turc) de Tripoli, lié à un parlement illégitime, les pays en guerre contre les Frères-musulmans, Emirats, Egypte et Russie (France officieusement) soutiennent l’armée du Maréchal Haftar, quant à lui soutenu par le Parlement légitime de Tobrouk (le plus récemment élu démocratiquement) et qui tente de prendre la capitale libyenne. Ce dernier vient d’ailleurs de s’emparer de Syrtes, un revers important pour le camp Sarraj qui bénéficie en revanche du renfort de jihadistes et miliciens islamistes que l’armée turque exfiltre de Syrie depuis quelques temps…. Alexandre del Valle revient sur les forces en présence, locales, régionales et étrangères, et sur l’incroyable faute de l’Occident et notamment du gouvernement français de l’épique, qui ont ouvert une incontrôlable boîte de pandore islamo-terroriste en renversant le régime de Mouammar Kadhafi en 2011 comme les Américains Saddam Hussein en Irak en 2003. Alexandre del Valle a notamment rencontré le géopolitologue Mourad al-Attab, proche de Saîf al islam Kadhafi, dont il évoque les chances de retour dans son dernier ouvrage.

Lors de l’intervention franco-anglo-américaine de 2011, présentée comme un « appui à la révolution démocratique libyenne », puis après la mort de Kadhafi, assassiné en octobre 2011 par des milices islamistes libyennes appuyées par les services-action de plusieurs pays occidentaux, les va-t’en guerre français et anglais, BHL-Sarkozy en tête, annoncèrent une « ère démocratique nouvelle ». Les Libyens purent fêter ainsi la mise en place inédite d’élections libres. Peu d’observateurs et médias occidentaux n’osaient toutefois évoquer le passé et la nature clairement islamiste, voire terroriste, de nombreux protagonistes de cette nouvelle Libye, tel Abdelkarim Belhadj, ex-combattant en Irak au sein du Groupe islamique combattant libyen d’Al-Qaïda en Irak et de son chef, Zarkaoui, précurseur de Daech… Ce dernier, qui fut reçut officiellement à Paris et ailleurs comme un « combattant de la Liberté », devint vite, après avoir fait masaccrer Kadhafi, le « gouverneur militaire de Tripoli ». On connaît la suite de cette « plus grande faute géopolitique de la Vème République ».

Forces en présence: Haftar versus Sarraj

Les Nations Unies soutinrent dès le début le Gouvernement d’Accord National (présentable) de Fayez Al-Sarraj, à Tripoli, et son Parlement, depuis lors caduc et battu par un nouveau Parlement légitime réfugié à Tobrouk, dans l’Est du pays. Ce dernier soutient et est soutenu militairement par le Maréchal Haftar et son Armée nationale libyenne, résolument opposés aux islamistes frères-musulmans pro-turcs de Tripoli et à leurs milices islamistes-jihadistes de Misrata. Récemment, les troupes de Haftar, qui contrôlent la plus grande partie du pays, à l’Est et au Sud et au Centre, ainsi que la majeure partie des puits de pétrole du pays, ont réussi à prendre la ville de Syrtes. Face au Maréchal, les troupes pro-Sarraj, à l’Est, soutenues par la Turquie, le Qatar, et officieusement les Anglais, font dans l’équilibrisme en se présentant comme le gouvernement légitimé par les Nations unies (mais lié à un Parlement illégal), tout en s’appuyant sur les milices islamistes fréristes et jihadistes venues de Syrie ou d’ailleurs… Rappelons que Al-Sarraj bénéficie non seulement du soutien des Nations Unies mais surtout de celui des Frères musulmans, de leurs milices, et de leurs deux parrains politiques, militaires et financiers: le Qatar et la Turquie d’Erdogan, qui voudraient faire de ce pays leur chasse-gardée face à l’avancée du Maréchal Haftar. Il est vrai que ce dernier prône un gouvernement nationaliste/anti-islamiste dans la lignée de Kadhafi, d’où le soutien qu’il reçoit des Émirats Arabes Unis, de l’Egypte et même de l’Arabie saoudite de MBS qui livrent une guerre totale contre les Frères-musulmane, « matrice de l’islamisme et du jihadisme ».

La Libye est donc coupée en deux depuis 2014, et sa déstabilisation depuis le « printemps arabe » – devenu un « hiver islamiste » – s’apparente à un véritable cauchemar sécuritaire : nombre de mercenaires libyens et Africains formés en Libye sont partis depuis dans des pays d’Afrique noire avec des stocks d’armes qui alimentent depuis le jihadisme en train d’ensanglanter de nombreux pays subsahariens et sahéliens, à commencer par le Centre-Afrique et les pays du G5 Sahel, que la France soutient. En 2017 Emmanuel Macron a ainsi tenté, sans succès, de réconcilier Haftar et Al-Sarraj en vue de stabiliser la Libye qui occupe une position stratégique pour l’Afrique subsaharienne, actuellement gagnée par le virus jihadiste, et pour l’Europe, en proie au « risque migratoire », puisque c’est des côtes libyennes que partent la majorité des émigrés clandestins venus d’Afrique mais aussi que peuvent passer des jihadistes

D’une certaine manière, la présidence de Macron essaie de remédier au chaos jihadiste que le gouvernement Sarkozy avait créé en renversant un régime – certes peu démocratique -mais qui avait le mérite de lutter contre le jihadisme et qui contrôlait les flux migratoires en Méditerranée orientale..

Un « chaos durable »: l’impossible réconciliation entre les deux ennemis libyens représentants de forces régionales antagonistes

Pour tenter de remédier à ce chaos, la Russie de Vladimir Poutine et son allié contre-nature, la Turquie d’Erdogan (la première soutenant Sarraj et la seconde Haftar) ont amorcé un processus de dialogue entre les deux principaux camps antagonistes, en recevant lundi dernier, à Moscou, le chef du gouvernement reconnu par l’ONU, Fayez el-Sarraj, et l’homme fort de l’Est, Khalifa Haftar. L’accord de cessez-le-feu, parrainé par les ministres des affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov et turc, Mevlut Cavusoglu, portaient sur les modalités du cessez-le-feu proclamé dimanche 12 janvier, à la suite de l’appel commun des présidents Poutine et Erdogan. Le chef de la diplomatie turque a beau avoir annoncé un ambitieux « processus politique sous le patronage de la Russie et de la Turquie », peu d’observateurs semblent partager son optimisme, et le cessez-le-feu a déjà été violé maintes fois… Mieux, le maréchal Haftar, bien qu’appuyé par la Russie, a posé des conditions drastiques à la signature de l’accord, pour le moment uniquement signé que par son rival Sarraj. En toute logique, il n’a pas intérêt à le signer, et encore moins à envisager une réunification du pays avec des forces islamistes que ses protecteurs combattent à mort: Frères-musulmans et Turquie néo-ottomane d’Erdogan. Pour Haftar, un accord n’est aucunement envisageable sans la dissolution préalable des milices islamo-jihadistes qui soutiennent Sarraj, donc sans le renvoi des mercenaires syriens islamistes et des soldats turcs de plus en plus présents en Libye qu’Erdogan a fait exfiltrer de Syrie et des camps turcs. Le président turc voudrait, comme en Syrie, négocier une « zone d’influence » turque, comme par hasard en Libye occidentale, avec les miliciens de Misrata, descendants de colons turcs-ottomans, et avec le gouvernement de Fayez Sarraj, lui aussi descendant de Turcs avec qui Ankara a signé un accord de partage des eaux souveraines en Méditerranée en vue de l’exploitation de gaz et pétrole off-shore…. Face à cet état de fait inacceptable, Haftar exige de l’ONU que soit créé un comité dédié au désarmement et il refuse également toute médiation turque dans le dossier libyen, sachant que selon l’accord qu’il a refusé de signer à Moscou, des officiels turcs devaient faire partie du comité de cessez-le-feu, point inacceptable pour le maréchal Haftar pour qui la Turquie est une force ennemie qui soutient les Frères musulmans, leurs milices et des groupes jihadistes libyens, syriens et « internationaux ». Ceux-ci voient dans ce pays en plein chaos une nouvelle terre de jihad après leur départ de Syrie forcé par la victoire du régime d’Assad. Le camp de Khalifa Haftar réclame également l’instauration d’un réel « gouvernement de réconciliation nationale » qui regrouperait tous les Libyens, avec l’aval du Parlement de Tobrouk, le dernier élu, donc le seul légitime.

Auteur de nombreux essais philosophiques, économiques et géopolitiques, le chercheur Morad El Hattab, qui vient de signer un ouvrage très éclairant sur la Libye (Saïf al Islam Kadhafi. Un rêve d’avenir pour la Libye*), déplore la façon dont « la France a été progressivement amenée à agir contre ses propres intérêts en Libye ». Patriote fervent, attentif à la défense des intérêts souverains de la France, EL Hattab a répondu aux questions d’Alexandre del Valle.

Alexandre Del Valle : La France a-t-elle tort d’intervenir en Libye en 2011, pour y renverser le pouvoir de Mouammar Kadhafi ?

Morad El Hattab : Il est bon en effet de rappeler que cette intervention en Libye a eu lieu il y a déjà neuf ans. Ce qui permet aujourd’hui d’avoir un certain recul et de juger l’arbre à ses fruits. Nous pouvons donc objectivement comparer la situation avant et après l’intervention occidentale en Libye, c’est un premier point : la Libye était devenue l’État le plus stable et le plus prospère d’Afrique, avec un système de redistribution avancée et une émigration tout à fait limitée.

Nous pouvons aussi en effet, nous demander si cette intervention servait réellement les intérêts stratégiques de la France, ou bien au contraire, s’il s’agissait de servir des intérêts particuliers : nommément l’intérêt personnel de Nicolas Sarkozy (je développe pourquoi dans le livre), mais dans le cadre d’une lecture économique plus globale consistant à sauver le pétrodollar. Plus globalement, il y a toute une profondeur historique oubliée de la question libyenne qui est rappelée dans la première partie de l’ouvrage : non seulement la France a agi contre ses intérêts stratégiques, alors que ses relations avec la Libye étaient au beau fixe. Mais en plus, ce n’est pas la première fois que la France a été détournée à la fois par des intérêts personnels et par des intérêts étrangers, concernant précisément la Libye : je rappelle l’épisode des découvertes du pétrole du Fezzan par Conrad Killian, et la façon dont il fut assassiné en 1950 par les Services britanniques, pour avoir voulu servir les intérêts stratégiques français et le bien-être des populations locales de tout le Sahara. En ce sens, une profondeur historique est nécessaire pour comprendre que nous revivons les mêmes situations à 50 ans d’intervalle : « ceux qui oublient l’Histoire se condamnent à la revivre »…

ADV: Vous voulez dire que la France a servi des intérêts étrangers en Libye, à la fois dans le passé et à notre époque ? Cette idée serait d’autant plus dérangeante, car nous voyons aujourd’hui que les conséquences de la déstabilisation de la Libye en 2011, par le trio anglo-américano-français, ont notamment engendré des vagues de migrants qui touchent certes l’Italie, mais aboutissent ensuite en France.`

Morad El Hattab: C’est juste, et c’est lié : plus précisément, je dis que la France a été détournée non pas une fois mais deux fois dans l’Histoire récente, pour oublier ses intérêts stratégiques en Libye, au bénéfice d’intérêts étrangers… Et que ces luttes d’influence sont fort peu comprises en France aujourd’hui.

Vous avez surtout raison de préciser qu’il s’agissait du trio « anglo-américano-français », qui est intervenu en Libye, mais je détaille les raisons pour lesquelles ce trio était en soi une absurdité : parce qu’historiquement les anglo-américains étaient rivaux et non pas alliés en matière pétrolière, mais que malheureusement la France est toujours restée la proie de cette rivalité, la proie du pétrole britannique spécialement, alors que les États-Unis étaient plutôt alliés de la France, étonnamment (je détaille ces éléments dans le livre). C’est-à-dire que l’intervention de 2011, fut l’aboutissement au grand jour de ce qui n’était auparavant connu que des initiés : le défaut de planification stratégique française en matière pétrolière, malgré une parenthèse récente (je dirais : « entre De Gaulle et Christophe de Margerie »… les initiés comprendront !), a abouti en 2011 à ce que nous ne soyons rien d’autre qu’un supplétif et un vassal, dans le cadre d’un partage anglo-américain du pétrole mondial. Sauf que ce partage du pétrole s’est fait au gré de luttes occultes dont nous n’avons pas fini de payer les conséquences aujourd’hui…

ADV : Haftar est venu en France au printemps dernier. Pourquoi la France le soutient-elle alors que l’ONU et les États-Unis et la Grande-Bretagne soutiennent Fayez el-Sarraj ?

Morad El Hattab : Globalement, parce que la France est actuellement détournée par certaines personnes qui ont été cooptés, mais qui n’ont pas conscience des intérêts stratégiques français. Voire pire, qui ont été coopté précisément, parce qu’ils n’allaient pas servir les intérêts stratégiques français… Alors oui, en effet : nous persistons à agir en dépit du bon sens partout dans la zone sahélo-saharienne, de façon tellement grossière que l’on pourrait même se demander parfois si ce n’est pas fait exprès !

Et nous en voyons les conséquences, ces derniers jours à Moscou : seule la France n’était pas conviée, alors que je rappelle dans mon livre que nous aurions normalement dû avoir plus d’une raison d’être légitimes, à avoir voix au chapitre en Libye. Mais quelque part, ce livre, en rappelant toutes ces raisons, redonne indirectement une légitimité historique de la France en Libye, alors même que nos gouvernements depuis 2011, ont agi délibérément contre les intérêts stratégiques français et continuent de le faire aujourd’hui, en 2020…même si le Président Emmanuel Macron a déclaré en août 2019 qu’il lutterait contre cet « état profond », déclarant « qu’il ne voulait pas être otage de gens qui négocient » à sa place !

C’est à chaque Français de prendre conscience de tout cela et de se poser de meilleures questions, et ça commence par lire des livres qui posent réellement les bonnes questions et y apportent des réponses au moins satisfaisantes pour l’esprit. L’action ne peut venir qu’après, en ayant réellement compris un sujet et non ce qu’en disent certains médias « français » qui n’aiment plus la France…

Pour rappel, et fait étrange, le seul mort français de la guerre en Libye fut Pierre Marziali, un ancien du 3e RPIMA (régiment de parachutistes d’infanterie de marine)…manifestement exécuté alors qu’il servait, avec Robert Dulas, les intérêts de la France…sous couvert de la Secopex, une société militaire privée française !

ADV : Dernière question : une collaboration entre Haftar et Saïf Al-Islam serait-elle possible, sinon souhaitable ou non souhaitable ?

Morad El Hattab : C’est une question qui ne semble pas à l’ordre du jour ici, car il me semble qu’Haftar pense bénéficier encore aujourd’hui de l’inertie de la dynamique militaire enclenchée depuis le printemps dernier. Il vient de repartir de Moscou à la surprise générale sans avoir signé l’accord proposé aux belligérants qu’il avait validé oralement la veille !

Pourtant, on peut envisager en quelque sorte un phénomène d’aiguillonnement ou de contrôle réflexif : Haftar est utile aussi longtemps qu’il sert de marteau contre l’enclume turque, et que les djihadistes de tout poil sont entre les deux… Il sera toujours temps ensuite, pour chacun des acteurs, de s’entendre ensuite en bonne intelligence une fois que les combats baisseront en intensité… faute de combattants. Chaque acteur sera ensuite entre deux voire trois influences, et c’est un ensemble de tractations qui aboutiront à un équilibre, par l’intelligence ou par la pression, d’où qu’elle vienne…

Comme en Syrie, la diplomatie ne va faire que traduire le sort des armes, avant seulement qu’une solution politique ne devienne envisageable. Au minimum, nous pouvons considérer tout de même depuis la victoire de Trump, que c’est une dynamique de désescalade et de désarmement des djihadistes qui a été enclenchée, en Syrie comme en Libye. Le règlement au Sahel ou ailleurs viendra ensuite…

ADV : Peut-on affirmer que les Occidentaux jouent avec le feu en Libye, en aidant les forces mondialistes et djihadistes alliées pour l’occasion (tant pro-Frères Musulmans avec le clan el-Sarraj, qu’avec les autres djihadistes) ? L’opération de renversement de Kadhafi avait bien été orchestrée par les Occidentaux en 2011, en s’appuyant sur des anciens d’Al Qaïda comme Abdelhakim Belhadj ou d’autres… Pouvez-vous développer ce point qui était caché au public mais qui commence à être dévoilé ?

Morad El Hattab : De fait, les Occidentaux ont joué avec le feu en Libye, c’est absolument évident. Mais en fait ce ne sont pas les « Occidentaux » qui ont joué avec le feu : ce sont des luttes d’influence ancienne au sein de l’Occident, qui ont abouti au détournement de l’Occident. Un détournement par des forces à la fois affairiste et mondialistes (monopolisme spéculatif), unies pour démolir des États souverains en instrumentalisant n’importe quelle force supplétive pourvue qu’elle ait du mordant. Je cite par exemple Laurent Fabius, qui parlait du « bon boulot » des djihadistes d’al-Nosra en Syrie… Le même Fabius qui répondait « c’est la vie » avec une outrecuidance consommée, lorsque le Ministre russe des Affaires étrangères lui fit remarquer que les armes des djihadistes que combattait l’Armée française venaient… de la France (lorsque la France avait armée les djihadistes libyens) ! Fabius représentait-il alors « les Occidentaux », ou la volonté du peuple français ? Question bien dérangeante, qui conduirait à nous interroger sur la « fiction démocratique » que prône actuellement l’Occident…

ADV: Dans ce contexte d’un certain retour au bon sens, quel est alors le jeu actuel des grands pays occidentaux concernant le pétrole libyen ?

Morad El Hattab : Je pense qu’il y a une entente subtile, comme je l’ai dit, pour liquider les djihadistes utilisées par les uns et par les autres d’une part, mais aussi pour organiser le futur partage du gâteau pétrolier. C’est-à-dire que les États-Unis acceptent en quelque sorte, depuis Trump, de mettre un coup d’arrêt à leur utilisation antérieure des djihadistes depuis la guerre d’Afghanistan ; mais de l’autre côté, ils ne vont pas saper l’intégralité de leurs chances d’obtenir des parts du gâteau libyen. Ceci, indépendamment des questions de morale ou de souveraineté : l’Histoire pétrolière est une Histoire de « partage du gâteau », émaillée de guerres scélérates dans laquelle les pays faibles ou gênants sont broyés. Aussi longtemps que l’on n’interroge pas la décadence et l’origine de la décadence du modèle économique occidental, on ne peut que le constater. J’en parle également dans le livre…

ADV : Parlons de ces conséquences : quelles sont-elles aujourd’hui, début 2020? Quels effets ont été engendrés par la guerre de 2011, sur le reste de l’Afrique Sahélo-saharienne : en termes de prolifération des mafias, des migrants illégaux, des trafics d’armes et de développement des groupes djihadistes ?

Morad El Hattab : Comme l’a déclaré récemment Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères : «L’État libyen a été bombardé par l’Otan en 2011 et nous – surtout, bien sûr, le peuple libyen – récoltons toujours les conséquences de cette aventure criminelle et illégale».

Les conséquences sont en effet énormes, mais nous ne pouvons pas dire que nous l’ignorions : les vrais spécialistes de la région et les services secrets occidentaux n’ont pas été écoutés, je le détaille dans mon livre, alors que nous savions pertinemment que la Libye était la clé de plusieurs équilibres géostratégiques africains mais également européens. Comprendre ceci supposerait d’évoquer l’Histoire bien plus ancienne de la Libye. Depuis 3000 ans, la Libye est le pays des contraires et de la dualité : dualité ancienne entre l’Égypte grecque et Carthage, dualité plus globale entre une bande côtière relativement hospitalière et un désert qui l’est bien moins, dualité plus globale entre mentalité pastorale et mentalité agricole… Avec surtout une conséquence : la difficile mise en valeur du pays, qui est une constante en Afrique du Nord (hors Maroc et Egypte). Cette constante engendre une violence latente, la difficulté d’y maintenir des États stables, et la facilité d’y entretenir des foyers de troubles en donnant par les armes, une perspective aux désespérés…

On oublie trop facilement que la fonction d’un État, c’est la paix sociale. Ce qui veut dire a contrario que détruire l’État libyen, dont la stabilité était remarquable avant 2011, allait évidemment conduire à une instabilité persistante, dont les causes seraient multiples.

ADV : Vous voulez dire que cette intervention a ouvert une boîte de Pandore, en libérant des instabilités chroniques qu’il était facile de réveiller puis d’entretenir ensuite ?

Morad El Hattab : C’est exactement cela, et c’est d’une tristesse insondable parce que ceci était évitable ! Nous savons que la Libye était la clé des équilibres de toute l’Afrique du Nord, et pourtant nous l’avons démolie. La vassalisation progressive de la France en matière pétrolière, a engendré une complicité de guerre. Le pire est que ce pays a été démoli d’une manière tellement injuste, que les conséquences qui nous touchent d’ores et déjà, sont regardées comme légitimes et nourrissent en retour les arguments des djihadistes ! Or la France, contrairement à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, n’est pas maîtresse du jeu et ne va faire que subir les conséquences, comme elle les subit déjà depuis les attentats de 2015… En démolissant la Libye, c’est en effet tout l’équilibre de l’Afrique Sahélo-saharienne qui a été perturbée. Et cette perturbation est entretenue aujourd’hui par des logiques totalement mafieuses, illustrant pour qui avait pu l’oublier, que quand les États sont artificiellement démolis, ils sont remplacés par les mafias. Les trafics d’armes, d’êtres humains, de drogues, ne sont que des conséquences évidentes qui se cachent derrière l’argument bien facile du « djihadisme ».

ADV : Voulez-vous dire par là que le terrorisme islamique serait en fait l’appellation officielle d’une réalité beaucoup plus terre-à-terre ? Une simple logique mafieuse ?

Morad El Hattab : Je dirais qu’il y a en fait deux logiques superposées :

Premièrement, une logique réellement impérialiste mais pragmatique, consistant à diviser pour mieux régner, en remplaçant les États musulmans stables par des zones d’instabilités persistantes : regardez l’Irak, regardez la Libye, et regardez ce qui a été mis en échec en Syrie grâce à l’intervention russe… Dans tous les cas, il s’agissait d’empêcher des États de conserver leur souveraineté sur leurs matières premières stratégiques d’une part, sur leur monnaie d’autre part (je détaille ce point spécialement dans le livre, concernant la Libye).

Deuxièmement, une logique idéologique de « choc des civilisations » par définition artificielle, consistant à faire oublier les anciens États musulmans stables, pour les remplacer par une idéologie djihadiste composite (qu’il s’agisse des wahhabites, des Frères musulmans ou de la confrérie Gülen en Turquie…). Et après il est facile de trouver un nouvel ennemi djihadiste, et de s’en servir à la fois contre les États récalcitrants, qu’ils soient musulmans ou occidentaux. Mais ce deuxième point soulève d’autres questions plus dérangeantes encore…

ADV : Quel genre de questions dérangeantes ?

Morad El Hattab : Et bien, pensez aux cartels mexicains, à travers un seul exemple : la banque Wachovia qui a été étrillée il y a quelques années, pour avoir blanchi plus de 300 milliards $ des cartels mexicains de la drogue. Un fait documenté dans les médias officiels, mais qu’on se garde bien de rappeler tous les jours. Ceci veut dire a contrario, que pour tuer ces mafias de la drogue, il suffirait simplement de couper leurs canaux financiers. La drogue des cartels mafieux nourrirait-elle le système financier mondial ? C’était ce que disait Denis Robert il y a quelques années, et ceci… devrait attirer notre attention.

Par extension, l’État Islamique : on nous a vendu une « génération spontanée » de cette organisation, du jour au lendemain. Alors qu’il vendait son pétrole par des canaux qui ont été identifiés, dénoncés, et d’ailleurs bombardés copieusement par les soi-disant « méchants » Russes dès le début de leur intervention en Syrie… Alors qui combat de quel côté ?

Entre-temps, ce fut l’étape de la guerre de Libye : je détaille dans mon livre, la façon dont les « insurgés » soi-disant Libyens qui n’avaient même pas encore gagné « leur » guerre contre Kadhafi, n’ont rien trouvé de mieux à faire que de créer une banque nationale libyenne. Des initiés de l’époque en avaient conclu que nous n’avions pas ici affaire à une banque de « pieds nickelés », mais à des réseaux bien plus organisés (détails et références dans le livre). Ça veut dire que nous aurions de fait, une alliance des cartels bancaires et des mafias, quelle que soit leur coloration idéologique « officielle », contre les États constitués. Et les peuples, qu’ils soient musulmans ou occidentaux, sont égaux face aux conséquences : les terroristes massacrent indifféremment des musulmans dans le monde musulman, et des Européens chrétiens ou non, en Europe… Il devient peut-être urgent de se poser de meilleures questions quant aux causes et conséquences de tout cela, et c’est l’objet global de mon livre.

ADV : D’accord, et donc si je vous comprends bien, il y aurait d’un côté certaines banques et de l’autre côté les mafias, dont les intérêts se rejoindraient à un certain point du raisonnement ? Mais quelle serait la place du terrorisme entre les deux ?

Morad El Hattab : C’est globalement ça. Ce qui implique deux questions distinctes ici.

Premièrement, sur le lien entre banques et mafias : ce n’est pas moi qui le dis, c’est documenté largement par bon nombre d’initiés, et il y en a des traces souvent subtiles dans des œuvres grand public : pensez au film Sicario, sorti il y a quelques années, sur ses affaires de cartels mexicains mais avec de subtiles références aux banques blanchisseuses. Voyez également la décennie 1990 en Russie et ce que l’on appelait commodément la « mafia russe » : on pouvait difficilement croire que les banques blanchisseuses n’étaient pas au courant, et il y a eu toute une chaîne d’intérêts partagés entre des prévaricateurs publics, des enrichissements sans cause privés, des connexions mafieuses évidentes, et des banques occidentales également intéressées.

Deuxièmement, sur la place du terrorisme : il conviendrait plus précisément de parler de « troupes mercenaires irrégulières », commettant des actes de terrorisme, et auxquelles on donnerait artificiellement une coloration idéologique afin de présenter leur combat comme quelque chose d’autre que ce qui n’est réellement. Le « djihad » plutôt que les intérêts des cartels bancaires de Wall Street ou de la City, par exemple, c’est quand même plus « mobilisateur », voyez-vous ? Alors évidemment, c’est plus facile avec des djihadistes prétendument « musulmans », qu’avec des mafieux et autres narcotrafiquants, qui auront du mal à prétendre qu’ils font cela « pour le Christ ». Pourtant, on n’a pas de mal à prétendre que les djihadistes massacrent des gens « pour le Prophète »…

ADV : Attendez, mais les djihadistes sont musulmans, non ?

Morad El Hattab : Certes, officiellement tout du moins. On dirait juridiquement qu’ils sont « réputés » musulmans, en effet. Mais de la même manière que l’on a considéré hier les Russes comme étant tous « bolcheviques », alors que les Russes ont subi de plein fouet le bolchevisme, en tant qu’idéologie artificielle. Or ceci nous a coûté une Deuxième Guerre mondiale générée en bonne partie artificiellement : rappelez-vous que l’on fait des guerres pour des intérêts et non pas pour des idéologies. On maquille avec des idéologies des guerres d’intérêt, nuance !

Concrètement, dans notre cas d’espèce : on a maquillé une guerre de Libye « pour protéger des populations civiles », alors qu’il s’agissait de sauver le pétrodollar et les banques de Wall Street comme de la City. Ce fut une guerre instrumentalisant des djihadistes utilisés comme troupes mercenaires irrégulières, pour démolir un État qui voulait conserver sa souveraineté pétrolière et monétaire. Le clou du spectacle, c’est qu’on a retrouvé des traces parfaitement documentées de tout ceci dans les fuites de Wikileaks contre Hillary Clinton, et dans la source militaire « Qanon » : c’est-à-dire qu’une lutte d’influence a eu lieu aux États-Unis, afin d’arrêter une logique de guerres illégitimes menées par les États-Unis, au nom de certains intérêts particuliers dont Hillary Clinton était en quelque sorte, la « VRP ». Ceci ne peut pas être compris par des gens qui découvrent le sujet, et nous amènerait à d’autres développements…

ADV : D’accord, alors si je récapitule : on a utilisé des mercenaires estampillés « djihadistes », pour démolir la Libye, parce qu’elle voulait conserver la souveraineté sur son pétrole ?

Morad El Hattab : Et sa monnaie ! Sur le pétrole, c’est globalement l’idée. Mais il faut comprendre ceci dans un cadre plus vaste : le pétrole, en plus d’être une matière première stratégique, a été l’accélérateur de la financiarisation du monde. Une multiplication par 10 de la puissance des grands cartels bancaires, épicentrés à Wall Street et la City, par la grâce du pétrodollar depuis les années 1970. Je récapitule ces éléments dans le livre, ainsi que l’histoire oubliée des « pré-chocs » pétroliers de Kadhafi, lorsque Mouammar Kadhafi avait gagné son bras de fer dans un certain contexte précis, contre les pétroliers américains.

Mais il y a ici une connexion « mondialiste » qui fait le lien entre tous les sujets : les intérêts des cartels bancaires anglo-américains, sont contraires aux intérêts des États, y compris des États-Unis en tant qu’État. En arrière-plan des luttes pétrolières, il y a des luttes plus globales pour la cooptation des têtes dirigeantes de ces États, nommément les États-Unis ici. Je récapitule dans le livre une trame « mondialiste » (ou « internationaliste », comme énoncé dans les mémoires de David Rockefeller), permettant de comprendre toutes ces interdépendances qui ont donné lieu à des luttes d’influences terribles. Mais l’élément modificateur majeur est récent : c’est en Libye qu’a eu lieu l’événement qui a été indirectement, à l’origine de la victoire de Trump contre Hillary Clinton. Tous ces détails sont dans le livre et je ne peux évidemment tout développer ici. Mais le lecteur averti trouvera des éléments peu communs sur toutes ces interdépendances…

ADV : Vous faites ici référence à l’affaire de Benghazi, en septembre 2012, lorsqu’un ambassadeur américain a été assassiné par des terroristes djihadistes ?

Morad El Hattab : C’est cela même, et ce fut une affaire bien suspecte. Or, c’est à partir de cette époque que de nombreux initiés au sein de l’Armée du Renseignement américain, ont rendu compte d’une lutte idéologique et d’une dynamique de contre-influence à l’intérieur de l’appareil d’État américain. L’une des principales conséquences s’est dévoilée contre Hillary Clinton, et Trump a été en quelque sorte un candidat coopté par le Renseignement militaire et l’Armée américaine, pour marquer un coup d’arrêt dans l’instrumentalisation imprudente des forces armées américaines, en Libye ou ailleurs. Car des soldats américains meurent aussi au Sahara aujourd’hui, du fait des conséquences de cette guerre de Libye. En octobre 2017 notamment, avec l’embuscade de Tongo au Niger. Là encore, des questions dérangeantes restent en suspens, mais on remarque que la victoire de Trump a marqué une inflexion majeure dans les positions des États-Unis, dans toutes les zones auparavant frappées par le djihadisme.

ADV : Alors justement, à présent : pouvez-vous nous brosser un tableau des interdépendances qui ont eu pour point de départ cette déstabilisation de la Libye, spécialement sous l’angle de l’alimentation du djihadisme en Afrique, au Mali, au Burkina Faso, au Niger et ailleurs ?

Morad El Hattab : Tout d’abord, il est primordial aussi que l’Union africaine, les pays du Sahel, le Maroc, la Tunisie, et principalement l’Algérie, soient à l’avenir invités à toutes les réunions, leur absence est un non-sens absolu sur le plan géopolitique ! L’Algérie qui est actuellement visée par une tentative de déstabilisation à ses frontières par les djihadistes et qui a déjà subi une lourde attaque à In Amenas en 2013 veut empêcher tout prix, comme l’exprimait l’ancien Premier ministre Abdelmalek Sellal, que la Libye devienne le « Libyenistan ».

Concernant les interdépendances, nous subissons deux fois la même Histoire, à partir des mêmes constantes stratégiques : le sud-est comme le sud-ouest de la Libye correspondent à deux nœuds stratégiques qui sont des couloirs de migrations historiques. Les nouvelles routes de la drogue en provenance d’Amérique du Sud renforcent des mafias qui renforcent le djihadisme, deux phénomènes étroitement liés.

Les conséquences sont doubles pour la France, impliquée dans ces pays qu’elle ne peut prétendre stabiliser sans toucher aux réelles causes :

1-le recul inexorable de l’influence de la France, touchée par les mêmes phénomènes de lutte d’influence interne à l’État français, qui aboutissent à traiter le djihadisme de la mauvaise façon, en méprisant les véritables héritiers de l’ancienne expertise française (voyez notamment Bernard Lugan, qui constitue une école universitaire à lui tout seul !).

2-le remplacement inexorable de la France dans toute la zone : par les anglo-américains d’une part (notamment grâce à des opérations comme la Libye ou la France bien plus que tout autre pays, a été lourdement discrédité et continu à se discréditer) ; par la Russie d’autre part, dont on voit depuis la Syrie, qu’elle sait traiter les problèmes comme ils doivent être traités…

Mais plus globalement, tous les États impliqués, sur place ou ailleurs, sont face aux mêmes logiques mondialistes s’appuyant sur les mafias… C’est ça, le sujet le plus dérangeant, et tous les États sont menacés conjointement par les mêmes phénomènes.

ADV : Ce point mérite développement : vous parlez dans le livre des stratégies de déstabilisation par l’explosion d’émigration illégale voulue par des forces mondialistes. Pouvez-vous préciser ce point ?

Morad El Hattab : « Mondialiste » ou « internationaliste », est une référence aux mémoires précitées de D. Rockefeller. Par extension, elle correspond à la collusion d’intérêts privés parfaitement identifiables, s’appuyant spécialement sur le contrôle monétaire et le contrôle des matières premières stratégiques : des cartels bancaires et monopolistes interdépendants qui se sont développés depuis 300 ans à partir de la City puis de Wall Street. Ces éléments sont parfaitement documentés, et pourtant très peu étudiés. Ceci, parallèlement aux activités mafieuses dont bénéficient plus ou moins directement les banques au final : de la Russie des années 1990 avant l’élection du Président Poutine ou de toute la zone sahélo-saharienne aujourd’hui…

Dès lors, l’idée est simple : le trafic d’êtres humains n’est qu’une activité additionnelle dans la région, de la même manière que depuis des années, les mafias des pays de l’Est trafiquent également des êtres humains, à fin notamment de prostitution. Tous ces couloirs et tous les pays qu’ils traversent ont donc été contaminés par les mêmes logiques « jihado-mafieuses ».

Par contre, une double logique idéologique additionnelle se greffe sur ce trafic d’êtres humains : l’une ancienne, l’autre nouvelle. L’ancienne, c’est « l’armée de réserve (importée) du capitalisme », c’est-à-dire le fait d’importer des forces de travail sous-payées, dans une optique de maximisation des profits des grands groupes monopolistes. Ce n’est qu’un changement d’échelle d’une logique qui préexistait déjà : depuis des années, la partie la moins patriotique du haut patronat français avait délibérément promu cette importation de main-d’œuvre à bas coût. Mais elle se double à présent d’une nouvelle logique additionnelle et délibérément subversive, à partir de la même idée : diviser et diluer sciemment les populations occidentales en important des populations étrangères, qui sont comme par hasard, parmi les moins expérimentées et éduquées pour comprendre avec recul les luttes sociales et économiques en Occident. Ce point est documenté précisément dans le livre, mais il faut bien comprendre que cette logique porte un nom : c’est de la pure subversion, et elle est préméditée !

ADV : Pour revenir à la Libye : vous affirmez que Saïf al-Islam Kadhafi est légitime, qu’il est injustement pris à partie par la CPI et qu’el-Sarraj au contraire, est illégitime, incompétent et qu’il est l’homme de la Turquie d’Erdogan sur place. Pouvez-vous nous expliquer davantage la stratégie de la Turquie néo-ottomane en Libye et ailleurs, et les liens de suggestions et collaborations entre el-Sarraj et Erdogan.

Morad El Hattab : Fait important, et volontairement ignoré par certains, le Haut Conseil des villes et des tribus libyennes a nommé dès 2015 Saïf al-Islam Kadhafi chef du Conseil suprême des tribus libyennes. Autre point, Khalifa Haftar s’est autoproclamé chef de l’Armée nationale libyenne, quant à Fayez el-Sarraj, il est reçu comme le Premier ministre du Gouvernement libyen d’union nationale (né des accords de Skhirat) alors qu’il n’a été élu ni par la Chambre des représentants, ni par le Congrès général national. Quelle est donc leur légitimité ? Dans les faits, ils ne représentent pas le peuple libyen et ses aspirations.

Concernant le rôle de la Turquie, je serais sans doute un peu moins manichéen, ou plutôt : il faut comprendre que la Turquie depuis l’été 2016, a fait en partie machine arrière dans son soutien plus ou moins subtil au djihadisme dans toute l’Asie centrale mais aussi en Europe. La confrérie Gülen a en effet servi de « pénétrateur » djihadiste, depuis l’Europe de l’Ouest et spécialement l’Allemagne, jusqu’à la Chine et les Ouïgours. Mais il faut comprendre que la Turquie a été poussée en ce sens par les États-Unis, à l’époque où les États-Unis se sont adonnés à des liaisons dangereuses tout à fait documentées, avec une apogée durant l’ère Obama. Or le coup d’État manqué de la CIA à l’été 2016, et la victoire de Donald Trump peu après aux élections américaines, a constitué un inversement brutal de cette tendance.

Sauf que la Turquie se croit certes puissante, mais c’est avant tout un vassal qui doit suivre plus ou moins adroitement les revirements de son suzerain. C’est-à-dire que la Turquie qui a été utilisée hier, contre la Libye et la Syrie, s’est aujourd’hui retournée en bonne partie contre le djihadisme avec l’aide de la Russie. On le voit notamment à travers le fait que ce sont bien des soldats turcs qui sont en Libye, et non plus des djihadistes supplétifs utilisés par la Turquie, comme auparavant. La situation est difficile pour la Turquie, mais il y a aussi une logique subtile qui rappellerait la fin de la guerre d’Espagne (je développe l’idée dans le livre) : j’envisage le fait que les principaux partenaires sur place soient les États-Unis, la Russie et la Turquie, dans une subtile entente visant à liquider les djihadistes qui ont été auparavant instrumentalisés de part et d’autre. Ceci, parallèlement au recul de l’influence des plus grands commanditaires du djihadisme (Qatar et Arabie Saoudite), et parallèlement à un autre facteur lourd : un certain retour au bon sens en Israël (Benny Gantz contre Netanyahu). Mais la messe n’est pas dite, et la situation sur le terrain demeure fragile…

ADV : Quid du rôle du Qatar en Libye et au Sahel ?

Morad El Hattab : Le Qatar, comme l’Arabie Saoudite, a été l’un des plus grands promoteurs des déstabilisations en Libye au Sahel. Mais il faut garder à l’esprit que les deux n’ont été historiquement que des otages de l’Histoire pétrolière anglo-américaine. Ce sont les luttes d’influences aux États-Unis qui doivent surtout nous intéresser. Or depuis la victoire de Trump, le Qatar a eu l’intelligence de commencer son retournement au bon moment, au gré de luttes d’influences internes au sein de l’émirat et d’une potentielle menace saoudienne. Le Qatar aujourd’hui, fait le dos rond et il sait parfaitement pourquoi… Dès lors, il est en train de perdre durablement son influence dans la zone, et mettra des années à la retrouver à partir des seuls leviers économiques. Ceci, en lieu et place des avions qataris qui avaient précipitamment quitté le Sahel (avec l’autorisation française !), lorsque l’Armée française est intervenue au Mali en 2013… On voit bien qu’en France comme aux États-Unis, il y a d’un côté le bon sens du terrain, contre les intérêts personnels des donneurs d’ordres…

*Saïf al Islam Kadhafi. Un rêve d’avenir pour la Libye, éditions Erick Bonnier. Paru le 17 octobre 2019 Essai (broché)

Source 

Tags : Libye, France, frères musulmans, Tripoli, Russie, Turquie, Egypte,

Le Drian : La sortie de crise en Libye passe par un dialogue interne

– Cependant, il a salué le rôle de la Russie dans l’initiative de cessez-le-feu sans mentionner le rôle de la Turquie

Meher Hajbı | 09.01.2020

Les milices de Khalifa Haftar ont rejeté l’appel turco-russe pour un cessez-le-feu en Libye.

C’est ce qui ressort du communiqué rendu public par le porte-parole de la milice Haftar, Ahmed al-Mismari, jeudi.

Le communiqué salue « l’initiative russe visant à instaurer la paix et à instaurer la stabilité en Libye » sans mentionner le rôle de la Turquie. Il annonce également la poursuite des offensives pour contrôler la capitale libyenne, Tripoli.

En effet, les Présidents turc, Recep Tayyip Erdogan, et russe, Vladimir Poutine, ont appelé, dans une déclaration commune après leur rencontre à Istanbul, mercredi, à un cessez-le-feu en Libye, à compter du 12 janvier, à minuit.

Une initiative saluée par le Conseil présidentiel du gouvernement libyen, reconnu par la communauté internationale, le Conseil d’État suprême et la Chambre des représentants libyenne de la capitale, Tripoli, pour une solution diplomatique à la crise libyenne.

Les forces de Haftar ont lancé le 4 avril, une offensive, en perte de vitesse, pour prendre le contrôle de Tripoli, faisant échouer les efforts des Nations unies pour organiser une conférence de dialogue entre les Libyens.

Anadolou

Tags : Libye, Turquie, Haftar, Egypte, Russie, Tripoli,