Les martyrs de la liberté d’expression algériens ont été tués d’abord par le GIA et ensuite par ses soutiens parisiens

L’hommage rendu cette année aux 123 journalistes et intellectuels algériens massacrés par l’hydre terroriste dans la décennie noire revêt une signification particulière.

Car cette série d’assassinats annoncés, revendiqués et perpétrés par des groupes de psychopathes qui tournaient dans le giron du GIA, n’avait pas suscité à l’époque la moindre compassion et indignation de la part de ceux qui s’érigent aujourd’hui comme les gardiens autoproclamés de la liberté d’expression après l’ignoble carnage du 7 janvier dernier au cœur de Paris contre la rédaction de l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo.

Pourtant l’idéologie qui a armé les bras des assassins de Paris était la même que celle qui avait armé les bras des assassins des 123 journalistes, intellectuels et employés de presse algériens entre 1993 et 1997.

Comble de l’ignominie : il s’est trouvé à l’époque dans les rédactions parisiennes des plumitifs et des mercenaires acquis aux thèses des assassins pour semer la suspicion et véhiculer l’abjecte thèse de «qui tue qui».

Ainsi les martyrs de la liberté de l’expression algériens ont été tués doublement : d’abord par les assassins du GIA et ensuite par leurs soutiens parisiens dont on apprend aujourd’hui avec stupéfaction, à la lumière des révélations de Chris Coleman, que ces plumitifs français étaient payés pour véhiculer de tels mensonges.

Pourtant les assassins avançaient hier à visage découvert, exactement comme les assassins des journalistes parisiens aujourd’hui.

Comme l’a souligné le journal l’Humanité, l’un des rares médias français à ne pas se laisser entraîner dans cette désinformation obscène, Reporters sans frontières, alors dirigé par le triste Robert Ménard, mais aussi certains journaux (ils se reconnaîtront) mettaient insidieusement les assassinats des journalistes au compte des services algériens qui manipulaient les groupes islamistes !

Pire, pour se donner bonne conscience, ils parlaient de «sale guerre» et insinuaient que derrière chaque journaliste algérien se tenait un «flic», justifiant par anticipation les assassinats à venir.

Pourtant, ces meurtres avaient été revendiqués par les islamistes à travers leurs organes (Minbar al-Djoumou’â, Feth el Moubine, al-Ansar, Etbcira) mais aussi par leurs dirigeants comme Anouar Haddam, Omar Chikhi (aujourd’hui amnistié par le régime) et par le Fida (Front islamique du djihad armé), une organisation agissant sous le contrôle du GIA, spécialisée dans les assassinats de journalistes, de militants progressistes et d’intellectuels. «Il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir.

Si nombreux sont aujourd’hui ceux qui commencent à ouvrir les yeux, force est de constater que l’aveuglement volontaire, car idéologique, de certaines de nos élites politiques et intellectuelles, a encore de beaux jours devant lui.
Certes, Bernard Emié, l’ambassadeur de France en Algérie, a eu le courage, la lucidité et l’honnêteté, dans son hommage aux victimes de l’attentat à Paris contre Charlie Hebdo, de ne pas oublier les victimes algériennes : «Mais je veux dire aussi que nous n’oublions pas non plus le très lourd tribut qu’ont payé les journalistes algériens dont près de 120 ont été tués pendant la décennie noire. Nous saluons aussi leur mémoire aujourd’hui.»

Force cependant de constater que jusqu’ici cette position n’était pas celle, dominante à Paris, où, au nom de la défense de la démocratie en Libye et maintenant en Syrie, on continue de soutenir une pseudo opposition «modérée» qui n’existe que dans leur imagination, une opposition qui non seulement tue entre autres des intellectuels, mais aussi détruit des monuments érigés à la mémoire des grands symboles de l’Islam des lumières.

Je veux parler de la décapitation en février 2013 par les terroristes de Jabhat al-Nosra (branche officielle d’al-Qaïda en Syrie) de la statue du poète-philosophe Abou al-Ala’ al-Maari, dans son mausolée érigé à sa mémoire par l’Etat syrien dans sa ville natale Maarrat al-Nou’man.

Or, trois mois avant cette «décapitation», Laurent Fabius louait, avec son homologue saoudien Saoud al-Fayçal, depuis Marrakech où se tenait la conférences des mal nommés «amis du peuple syrien», en ces termes l’action de cette organisation terroriste : «al-Nosra fait du bon boulot.»
Il y a quelques jours encore, on apprend par l’agence de presse tunisienne TAP (gouvernementale) que des intégristes «ont décapité la statue érigée à la mémoire du leader et réformateur fervent défenseur des droits de la femme, Tahar Haddad, auteur du livre-manifeste «Notre femme dans la loi et dans la société» dans sa ville d’El Hamma à Gabès.

«C’est pour que ces psychopathes surgis des profondeurs du Moyen-Âge, que les journalistes et intellectuels algériens ont payé de leur vie. Pour une certaine idée de la liberté, du progrès, de la modernité et surtout pour l’avènement d’un Islam des lumières. Un Islam que ces assassins et leurs mentors voulaient justement empêcher. J’ai toujours présent à l’esprit, au moment où l’Algérie et derrière elles tous les libres penseurs du monde, rend hommage aux martyrs de la liberté de l’expression, cette leçon de courage administrée par Tahar Djaout, journaliste et écrivain algérien assassiné par le Front islamique du salut en 1993 : «Le silence, c’est la mort, et toi, si tu te tais, tu meurs. Et si tu parles, tu meurs. Alors dis et meurs.»
Madjed Nehmé (Directeur du magazine français Afrique Asie)

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Quand l’ex-directeur d’Al Jazeera accusait le Maroc d’avoir «soutenu le terrorisme en Algérie»

Dans un message publié sur son compte Twitter, l’ex-directeur de la chaîne d’information qatarie Al Jazeera, Yasser Abou Hilalah, a accusé le Maroc d’avoir soutenu le terrorisme en Algérie durant la décennie noire des années 1990. Il a également indiqué que les deux pays ruinaient leurs capacités en se faisant indirectement la guerre par procuration en soutenant le Front Polisario pour l’Algérie et les berbères pour le Maroc.

«Le Maroc est impliqué dans l’appui au Groupe islamique armé (GIA)», écrit-il sur son compte Twitter.

Selon l’ex-patron d’Al Jazeera, rapporte l’agence russe Sputnik, les deux pays se font «une guerre d’usure».

«Il est inutile de demander pardon. L’Algérie soutient les extrémistes sahraouis et le Maroc défend les amazighs», souligne-t-il, indiquant que «les deux nations pourraient mettre fin à la problématique à travers le respect de la diversité culturelle».

Tout en rappelant que l’Algérie ne soutient pas « les extrémistes sahraouis » tel qu’indiqué dans le twit d’Abou Hilala, elle soutient le Front Polisario, le mouvement de libération du Sahara Occidental reconnu par l’ONU comme seul et unique représentant du peuple sahraoui avec lequel le Maroc est contraint de négocier.

Avec cette déclaration, l’ancien directeur d’Aljazeera a jeté un énorme pavé dans la mare du Makhzen connu pour ses accointances avec les organisations terroristes au Proche Orient, au Sahel et en Europe où tous les terroristes qui ont perpétré les derniers attentats étaient des dealers de haschich marocains manipulés par la DGED. Le haschich étant justement une des principales raisons de la fermeture des frontières, étant donné qu’il fait partie des sources des finances des mouvements terroristes.

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Algérie : Dynamiques et nuances du champ littéraire algérien

par Khalid Lyamlahy

Comment réagit un champ littéraire face à une crise politique majeure ? En projetant cette question dans le contexte algérien de la « décennie noire », l’ouvrage de Tristan Leperlier analyse les dynamiques qui façonnent les lettres algériennes à l’épreuve de la violence.

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Tristan Leperlier, Algérie, les écrivains dans la décennie noire.

CNRS, 344   p., 25 €

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À la fois « multilingue et transnational », le champ littéraire algérien convoque dans la période étudiée (1988-2003) des problématiques aussi diverses que l’autonomie par rapport aux champs politique et intellectuel, le clivage linguistique ou encore la position des écrivains. En adoptant une méthodologie interdisciplinaire (entre étude littéraire et analyse sociologique) et translinguistique (couvrant les productions littéraires en arabe et en français), Tristan Leperlier offre un panorama complexe et pluridimensionnel du champ littéraire algérien. Si la définition de « l’écrivain algérien » et l’expression de « guerre civile », comme le rappelle l’auteur dans son introduction, font encore l’objet de nombreux débats, la perception du champ par ses acteurs semble un peu plus évidente. De l’analyse littéraire à la recherche documentaire, en passant par les entretiens semi-directifs, Tristan Leperlier soumet le champ littéraire algérien à un exercice de relecture critique et de recontextualisation transnationale. Au « sens héroïque » d’une parole algérienne incarnée par le célèbre « dis et meurs » de Tahar Djaout, cité en exergue de l’ouvrage, il répond en resituant les écrivains dans un espace de lutte dynamique, nuancé, voire instable.

Dans le premier chapitre, le sociologue interroge, à la lumière de la crise provoquée par la guerre civile, le statut de l’écrivain algérien comme « parangon de l’intellectuel ». À l’heure où la crise algérienne est internationalisée et où l’idée de l’engagement se heurte à diverses formes de censure et de violence, l’écrivain algérien perd son statut éminent d’intellectuel autonome et représentatif. Loin de signaler une « dépolitisation », la distance prise par les écrivains avec le champ politique pendant et après les émeutes d’octobre 1988 correspond, selon Leperlier, à une évolution du champ littéraire algérien qui projette les journalistes à l’avant-garde de la contestation politique. Cette évolution, que l’auteur qualifie de « chant du cygne de l’écrivain comme parangon de l’intellectuel », est tributaire de trois facteurs majeurs : la position des écrivains, leur autonomie par rapport au pouvoir, leur rapport au champ intellectuel.

Après un rappel des principales mouvances politiques en Algérie dans les années 1980, Leperlier examine la thèse d’un « silence des intellectuels » lors des émeutes. L’image de « l’intellectuel au service et en avant du peuple » est confrontée non seulement au statut d’élite sociale des écrivains et à leur libéralisation progressive, mais aussi à la difficulté de critiquer le FLN, comme le suggère le cas « typique » de Kateb Yacine et son « soutien critique » au régime algérien. Si l’on assiste à une « culturalisation de la politique » (dans le sens où des enjeux culturels, tels que la langue et la culture berbères, sont désormais pensés comme politiques et identitaires), la fin du monopole étatique sur la culture ouvre la voie à une « repolitisation » progressive des écrivains algériens, accélérée au contact de la presse et sous la pression d’une visibilité accrue des islamistes.

Pendant la guerre civile, Leperlier note « une relative stabilité des oppositions » entre écrivains « pro-islamistes » et « anti-islamistes », ces derniers étant répartis à leur tour entre « radicaux », soutenant l’arrêt par l’armée du processus électoral, et « dialoguistes », rejetant cette intervention et prônant un dialogue politique. Partant d’une analyse statistique permettant de regrouper les polarités majeures du champ littéraire algérien, Leperlier montre que le rapport des écrivains au régime est fonction de plusieurs variables, dont la formation, l’écart générationnel, la visibilité politique, le degré d’intériorisation du rôle d’intellectuel, et surtout le type de capital littéraire. La guerre civile révèle également une opposition entre intellectuels « généralistes », intervenant au nom des valeurs universelles, et intellectuels « spécifiques » (historiens, politologues, etc.), le faisant à partir de leurs spécialités. Les échos de cette opposition se prolongent en France où la réception d’un texte polémique comme FIS de la haine de Rachid Boudjedra révèle, selon Leperlier, un cas limite de « formation transnationale » d’un intellectuel « alibi », bénéficiant de la valorisation littéraire et de la réappropriation de son discours dans le contexte français.

Le deuxième chapitre présente une critique de l’idée, développée en France et alimentée par certains en Algérie, selon laquelle la guerre civile était avant tout une opposition entre arabophones et francophones. Si la question linguistique est un lieu de tensions évident, marqué notamment par la domination de la littérature de langue française et l’échec de l’arabisation dans le champ littéraire, Leperlier investit les raisons qui ont poussé les écrivains algériens à la considérer comme centrale et soutient que leurs prises de position politiques trouvent leurs origines plutôt dans « l’internationalité littéraire », à savoir le type et la portée internationale de leur capital.

Observant que les écrivains dits « anti-islamistes » sont représentés aussi bien parmi les arabophones que parmi les francophones, Leperlier montre également que le champ littéraire algérien a résisté au clivage linguistique à travers des dynamiques transversales mettant en cause l’étanchéité des deux pôles, à l’image de l’opposition entre Rachid Boudjedra et Tahar Ouettar qui structure le sous-champ de langue arabe, ou des efforts de Tahar Djaout pour reconnaître Ouettar dans le sous-champ de langue française. Pour Leperlier, la rupture entre ces deux auteurs et la promotion du clivage linguistique par le second marquent symboliquement la formation de l’idée d’« une guerre des langues ». À la faveur d’une « synchronisation des enjeux » entre champs universitaire, journalistique, et littéraire, la question linguistique devient un élément central dans la perception de la crise.

La thèse principale développée ici consiste à considérer la guerre des langues comme une « prophétie auto-réalisatrice » ; en d’autres termes, « la guerre civile n’est pas essentiellement une guerre des langues, mais elle l’est devenue ». Dans un contexte où le mouvement islamiste est non reconnu tantôt dans sa dimension politique, tantôt dans sa violence culturelle, la guerre civile interdit la nuance et, constamment nourrie par la logique de la terreur et des rumeurs, favorise à la fois l’illisibilité politique et la lecture de la crise comme guerre culturelle et linguistique.

Enfin, en analysant l’évolution de la production en arabe et en français pendant la période, Leperlier montre que la crise a surtout impacté la seconde, délocalisée en France, confirmant ainsi l’importance du rapport à l’international comme facteur d’opposition entre les écrivains algériens. Ce phénomène de « bipolarisation » se reflète également au niveau des genres littéraires, avec la domination du roman dans le sous-champ de langue française et la progression notoire de la poésie dans le sous-champ de langue arabe.

Si la question de l’engagement politique sert de fil rouge à l’ouvrage, elle est traitée dans le troisième chapitre à partir du « genre lisière » qu’est le témoignage. Dans les années 1990, la résurgence de la figure de l’écrivain-témoin est favorisée par deux facteurs essentiels : le besoin transnational d’un savoir authentique sur l’Algérie et la situation de crise renouvelant la question de l’engagement. En s’inspirant de la typologie wébérienne, Leperlier distingue « trois gestes d’engagement » : « l’attestation » ou « l’affirmation d’un propos politique explicite » ; « l’évocation », définie comme « un engagement pour autrui » ; et « l’interrogation », geste opposé à l’éthos du témoignage et impliquant la mise en cause des valeurs attestées ou l’éloignement du souci d’évocation. Le reste du chapitre est consacré à une analyse illustrée de chaque geste.

L’engagement dit d’attestation est approché d’abord à travers les cas de Rachid Mimouni et de Yasmina Khadra. Si le premier exploite les ressorts du réalisme magique et du roman à thèse au profit de l’attestation politique, le second utilise les conventions du polar et le dispositif de l’enquête pour défier l’explication journalistique et sociologique de la crise. Les cas de Malika Boussouf, Aïssa Khelladi et Maïssa Bey servent à analyser le modèle du témoignage du journaliste à partir de trois perspectives complémentaires : une « éthique de vérité et de lutte » héroïque chez la première, un « anti-héroïsme » doublé d’une mise en jeu des codes du journalisme et du témoignage chez le deuxième, et un « héroïsme de libération » basé sur le pouvoir de la parole et la langue du corps chez la troisième.

L’engagement d’évocation est abordé principalement à travers la littérature algérienne féminine, dont le développement bénéficie du travail fondateur d’Assia Djebar autour de « la possibilité d’un dire féminin » et du dialogue avec les disparus. Si Ahlam Mosteghanemi joue sur l’héroïsation de l’écriture féminine, Soumya Ammar-Khodja, parmi d’autres, explicite la perception du témoignage comme un « genre genré ». Leperlier analyse également la nostalgie de l’Algérie coloniale à travers les thèmes du métissage culturel (Abdelkader Djemaï), de la tolérance religieuse (Leïla Sebbar), du raffinement intellectuel (Ammar-Khodja), ou encore de la thématisation de la nostalgie andalouse sur fond de croisement linguistique et de transmission mémorielle (Waciny Laredj).

L’engagement d’interrogation est aussi lié à l’ambiguïté du questionnement politique et à la quête d’une autonomie littéraire. Si Mohammed Dib articule la question de l’engagement à « un souci d’universalité » et à « une collaboration active du lecteur », Salim Bachi mobilise le topos de l’errance pour fragiliser l’éthique de la lutte et mettre en doute la valeur d’engagement.

Dans le dernier chapitre de son ouvrage, Leperlier souligne l’ambivalence de l’espace éditorial français qui accueille et offre une tribune aux écrivains algériens tout en favorisant leur « ghettoïsation » sous une étiquette nationale, des logiques économiques et des règles hiérarchiques. Après un rappel des facteurs et des enjeux de l’exil, expérience souvent synonyme de déclassement social et de difficultés professionnelles, il observe que les écrivains exilés (près d’un quart des écrivains de la période) sont perçus en France, dans les années 1990 surtout, comme algériens et restent peu intégrés au champ littéraire français, la guerre civile provoquant ainsi « une forte auto-identification nationale ».

Est ainsi nuancé le « soupçon mercantile » pesant aussi bien sur les écrivains algériens pour leur manque d’authenticité que sur les éditeurs français pour leur ethnocentrisme. Partant du cas de Timimoun de Boudjedra, roman basé sur « une esthétique de l’antithèse » qui renforce et met à distance les clichés exotiques, Leperlier estime que les œuvres de la période, à quelques exceptions près, sont des « Janus regardant seulement avec plus ou moins d’intensité vers l’une ou l’autre rive ». Partant, la manipulation exercée par l’édition et la réception françaises doit être nuancée par la volonté d’engagement des écrivains algériens et le caractère hétéroclite du paysage éditorial et critique en France.

Les dernières pages se tournent vers l’expérience de la revue Algérie Littérature/Action, créée en 1996 par Marie Virolle et Aïssa Khelladi. Portée par un capital économique français et une volonté de reconstruire l’autonomie du champ littéraire algérien, la revue souffre – après la guerre civile – des contraintes du marché local en termes de lectorat et de professionnalisation. Pour Leperlier, la fin de la guerre civile se caractérise par un double phénomène de « relative dépolitisation » et de « dépolarisation ». La réintégration des mouvances d’opposition et la réinstauration d’une politique du livre favorisent un rebond de l’édition. Du point de vue linguistique, le retour du français répond à « une volonté de réancrer la littérature algérienne de langue française sur le sol algérien » et s’accompagne d’une diplomatie d’influence française, notamment avec l’Année de l’Algérie en France en 2003. L’expérience des maisons d’édition El-Ikhtilef et Barzakh marque la création en Algérie d’un « pôle autonome d’avant-garde » qui s’oppose à l’esthétique du témoignage, tout en élaborant une ligne éditoriale variée et une stratégie d’alliance internationale.

Fruit d’un travail considérable de recherche doctorale, Algérie, les écrivains dans la décennie noire est une contribution majeure aux études littéraires et sociologiques sur l’Algérie contemporaine. En s’intéressant aux prises de position des écrivains algériens et à la circulation de leurs œuvres et de leurs idées en contexte de crise politique, l’ouvrage se lit comme une enquête savante qui résiste aussi bien à la simplification qu’à la systématisation. Néanmoins, on peut y relever quelques choix discutables, tels que la juxtaposition de figures littéraires de stature et de positionnement différents (Mimouni et Khadra ; Dib et Bachi), le manque de développement de certaines analyses textuelles (surtout pour les auteurs moins médiatisés) ou encore la focalisation sur les expériences et les stratégies particulières des écrivains dominants dans le champ littéraire tels que Boudjedra et Ouettar. Par ailleurs, l’appel de Leperlier à nuancer l’ethnocentrisme éditorial et critique français vis-à-vis de la littérature algérienne semble se heurter, d’une part au maintien continu de la France comme lieu d’influence et de légitimation des plumes algériennes, et d’autre part au traitement inégal de ces dernières, faisant de la quête même de l’autonomie littéraire une autre ligne de fracture dans le champ littéraire algérien. Ceci étant, une telle étude a le mérite d’ajouter une pierre à l’édifice des recherches sur la littérature nord-africaine, qui doivent plus que jamais se pencher sur la question du multilinguisme et de l’impact des crises locales et régionales sur le champ littéraire maghrébin.

Source : En attendant Nadeau

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