Mois : février 2012

  • Un plaidoyer enthousiaste pour l’Union maghrébine

    Outre l’examen des relations entre les deux pays et les discussions sur les nouveaux enjeux induits par les changements intervenus dans la région (problèmes sécuritaires aux frontières avec la Libye), la visite du nouveau président tunisien en Algérie est largement dominée par l’idée de relance du projet de l’Union maghrébine.
    Depuis sa prise de fonction en tant que président par intérim de la Tunisie au lendemain de l’élection de l’Assemblée constituante, Moncef Merzouki n’a eu de cesse de clamer partout sa volonté de travailler à refonder ce projet d’union régionale sur des bases solides agréées de tous les acteurs. La dernière tribune qui lui a permis, avant son déplacement à Alger, de marteler puissamment ses convictions maghrébines a été la capitale Nouakchott où il était en visite la semaine passée. Dans l’allocution qu’il a prononcée devant la presse, et au cours du débat qui l’a suivie, le président tunisien s’est lancé dans un plaidoyer où la raison et l’effusion, la stratégie régionale et le dessein national se sont entremêlés pour aboutir à la nécessité impérieuse de réinvestir le champ de l’union régionale sur tous les plans: politique, économique, commercial et culturel. Il y a insisté particulièrement sur les enjeux économiques et sécuritaires d’un tel travail de regroupement en expliquant que, les cinq pays, pris individuellement, n’ont pratiquement aucune chance de faire valoir leurs droits ou leur vision dans un monde de plus en plus globalisé. S’agissant du problème du Sahara occidental, présenté souvent comme étant le handicap majeur qui se dresse sur le chemin de l’union, Merzouki appelle à ne pas en faire un préalable pour prospecter et lancer les segments qui ne présentent aucun aspect de friction.Quant à l’ « expérience » de la révolution tunisienne ayant entraîné la chute du régime Benali, le nouveau locataire du palais de Carthage n’entend pas donner, en la matière, la leçon aux autres peuples arabes; cependant, à défaut de vouloir s’inspirer de l’exemple tunisien, il en appelle au  »bon sens » du président Assad pour se retirer au moins à la manière de Ali Abdallah Salah du Yémen.
    En tout cas, les changements politiques qu’a eu connaître, en l’espace de quelques mois, l’aire géoculturelle arabe n’ont pas été sans effets sur les relations bilatérales ou multilatérales entre les pays composant cet espace géographique. Rien qu’entre l’Algérie et la Libye, la  »mauvaise humeur » et le climat de suspicion ont duré plusieurs semaines, voire des mois.
    De même, sans que le problème ait pu atteindre une telle dimension, la frontière entre l’Algérie et la Tunisie a connu des moments de flottement dans la gestion des flux humains et de certains échanges clandestins (contrebande par la vente de carburant algérien dans des villages tunisiens).Bien que la frontière terrestre avec le Maroc soit fermée depuis 1994, ce genre de commerce illicite n’a jamais cessé. Pire, il est accompagné de rentrées de drogue en quantités industrielles destinée parfois à son acheminement vers l’Europe ou vers d’autres pays arabes. 
    Sur le plan des intentions exprimées publiquement par les souverains maghrébins, il n’y aurait apparemment aucun obstacle majeur dans l’idée d’édification du grand Maghreb. Souvenons-nous, sur ce point, des déclarations du président Bouteflika au début de son premier mandat à la tête du pays. Il parlait d’un déterminisme historique soutenant le projet du grand Maghreb. « L’Algérie et le Maroc n’ont pas d’autres patries d’échange. Ils sont voisins et frères et sont condamnés à s’entendre », disait-il en substance. 
    Dans l’état actuel de l’évolution politique de chaque pays maghrébin, l’on peut se poser la question de savoir dans quelle mesure la révolution des uns (Tunisie, Lybie), les réformes politiques des autres (Algérie, Maroc) et la transition démocratique d’un de ses membres (la Mauritanie) ont préparé chaque Etat à appréhender et à relancer sérieusement le processus de construction maghrébine.
    Rappelons que l’Algérie vient de perdre, en la personne de Abdelhamlid Mehri, l’un des défenseurs acharnés de l’Union maghrébine, attitude qu’il a adoptée et fait valoir depuis la Révolution armée. Cependant, les élites éclairées des cinq pays ne manquent pas de compter en leur sein des partisans convaincus de l’idée du grand Maghreb. Ces derniers font valoir non seulement l’indéniable historicité de l’entité maghrébine, mais également, comme l’argumente Moncef Merzouki, les grands enjeux économiques et stratégiques charriés par les crises successives qui prennent en tenaille la quasi-totalité des pays du monde.
    Par Saâd Taferka
    Les Débats, 14/2/2012
  • Marzouki : « créer les conditions psychologiques qui vont permettre la solution de ce problème du Sahara »

    Moncef Marzouki : Pour l’union du Maghreb, nous devons passer de l’incantatoire a l’opératoire»
    Après le Maroc, le président tunisien Moncef Marzouki, est arrivé en Mauritanie vendredi 10 janvier. Il finira sa tournée maghrébine par Alger. Après un entretien avec le président Mauritanien, Mohamed Ould Abdel Aziz, Marzouki a indiqué que la Mauritanie a donné son accord pour la tenue d’un sommet de l’UMA. 
    Le président tunisien avait reçu le même engagement du Royaume du Maroc. Par rapport a ce sommet, le président tunisien a dit « Nous allons nous réunir pour passer de l’incantatoire à l’opératoire. L’objectif est de nous dire que nous sommes tous conscients des nécessités, nous voulons changer quand, comment et avec quel planning. C’est ça l’objectif de la réunion qui, je l’espère, se tiendra à Tunis. Mais c’est une décision des cinq chefs d’État. Je peux seulement vous assurer que nous sommes tous dans cette logique du concret. »
    Le samedi 11 janvier, le président Tunisien a donné une communication portant expérience de la révolution tunisienne au palais des congres de Nouakchott. Il avait face à lui des membres du gouvernement mauritanien et des représentants de la société civile. Toujours au palais des congres, après sa communication, Moncef Marzouki a donné une conférence de presse dont voici quelques extraits
    Question : Est-il possible de construire un Maghreb intégré sans le règlement définitif de la question du Sahara Occidental ?
    Il ne faut Absolument pas faire de la question du Sahara Occidental un préalable. Il faut absolument avancer dans la construction du Maghreb. Ce faisant, nous allons créer les conditions psychologiques qui vont permettre la solution de ce problème du Sahara.
    Question : Récemment, des jeunes maghrébins ont organisé un congrès à Nouakchott. Ils ont dit préférer l’appellation « Union du Maghreb démocratique » a « Union du Maghreb Arabe.» Pour un espace géographique constitué d’arabes et de non arabe, quelle est l’appellation la plus inclusive ?
    Moi, je suis connu comme rabe, arabophone. Qu’à cela ne tienne, je voudrais qu’il n’y ait pas de problèmes. Le Maghreb est divers, il a une personnalité amazir, une personnalité africaine, une personnalité multiple. Et, ça ne me gène absolument en aucune façon de dire Union Maghrébine exactement comme on dit Union africaine ou Union Européenne. On n’a pas besoin de donner au Maghreb une étiquette particulière. C’est pour ça que dans mes discours, je parle de l’Union Maghrébine pour ne pas susciter ce genre de questions qui n’a plus de place. Aujourd’hui la question n’est pas de savoir si on est arabe, amazir, négro-africain…Aujourd’hui, on est maghrébin, on est multiple et il faut maintenant nous mettre tous ensemble pour résoudre les problèmes sociaux économiques, créer un espace commun ou nous nous développons tous et gardons tous notre diversité culturelle qui, encore une fois, est une richesse pour le Maghreb et non un handicap.
    Question : Que pensez-vous de la situation sécuritaire au nord Mali ?
    Pour ce qui est de la situation sécuritaire aux frontières sud du Maghreb, elle nous inquiète. Il y a beaucoup d’armes qui circulent. Il ya deux phénomènes. Le phénomène touareg, c’est un mouvement politique avec lequel il faut discuter politiquement. J’espère que mes amis maliens ne m’en voudront pas si je dis que nous souhaiterions vraiment qu’il y ait une approche politique de ce problème.
    L’autre phénomène, c’est celui dit d’AQMI. Nous avons beaucoup de doutes sur son coté idéologique. C’est plus des problèmes de criminalité pure et simple. Il est donc important que l’ensemble des pays riverains traitent de cette question de façon sécuritaire, bien entendu dans le cadre des États de droit.
    Khalilou Diagana
  • « Des fusils face au mur » – Témoignage

    Photographe, Maurice Cuquel connaît bien le conflit du Sahara occidental. Il est déjà allé trois fois dans les camps de réfugiés situés au sud-ouest de l’Algérie et en a retiré plusieurs expositions (1).
    En mars 2011, il s’est rendu -pour la première fois- dans les « territoires libérés », c’est-à-dire la partie orientale du Sahara occidental sous contrôle du Front Polisario (à l’est du mur de sable représenté sur cette carte proposée par l’ONU). Pour, dit-il, « côtoyer les combattants du Front Polisario« . « Entre guerre et paix, c’est le temps de l’attente et de l’impatience, de l’usure et de l’enlisement« , ajoute Maurice Cuquel.
    Son témoignage :
    En 1975, les espagnols abandonnent le Sahara Occidental aux mains du Maroc et de la Mauritanie. Le peuple sahraoui qui rêve de l’indépendance d’un « pays sahraoui » doit alors émigrer dans des camps de fortune dans le sud algérien. En 1991, un espoir surgit avec le cessez-le-feu et la promesse d’un référendum sur l’autodétermination.
    Trente-cinq années d’exil ont passé. Dans l’indifférence de la communauté internationale, 160 000 sahraouis survivent dans l’une des régions les plus inhospitalières du globe avec l’objectif de «revenir vivre un jour là-bas », dans leur pays d’origine.
    Territoires occupés. Territoires libérés. Territoires perdus. Territoires contrôlés… La sémantique est forte, la géopolitique dure, le lobbying des occupants outrancier… Les sahraouis seront-ils les exclus de l’Histoire ?
    Pour mon troisième reportage, j’ai voulu côtoyer les combattants du Front Polisario : « une armée de libération, pas une armée de conquête » précisent d’emblée ses combattants. Entre guerre et paix, c’est le temps de l’attente et de l’impatience, de l’usure et de l’enlisement.
    En route pour les territoires libérés, Ahmed est au volant de son Land Rover. Il affronte le désert, sa platitude infinie comme la durée interminable du conflit, son sol lunaire stérile, sa nudité rasante comme l’attitude de la communauté internationale. Du côté de Tifariti, la bande de terre contrôlée par le Front Polisario offre son cortège de maisons éventrées par les obus marocains, de champs de mines et ses ballets de voitures dela MINURSO*. De part son statut de territoire libéré, la région abrite les casernes où la vie quotidienne des soldats qui peut paraître exceptionnelle n’est pas pour autant sensationnelle.
    Il existe des murs de sable inébranlables qui durent. Tel ce mur de 2500 kms, intolérable balafre infranchissable, construit par l’envahisseur de 1980 à 1987 et gardé par 160 000 soldats marocains,20 000 kilomètresde barbelés et des millions de mines anti personnelles. Mais en trois décennies, ce mur n’a toujours pas suffi à faire plier la volonté et le désir d’indépendance du peuple sahraoui.
    Au centre martyr Chreif, les victimes des mines, civiles ou militaires zappent sur toutes les chaînes de leurs postes TV pour prendre le pouls de l’humanité. Rien ici ne permet de mesurer la fuite du temps. Seule espérance : le retour vers leur pays natal.
    Les jeunes sahraouis deviennent des combattants à l’issue de leurs huit mois de formation à l’école militaire El Wali. Leur credo : « reprise du conflit armé ». Face aux dirigeants dela RASD*, trop statiques, trop attentistes à leur goût, face au statu quo onusien, ces soldats sincères et déterminés, sont les garants de leurs droits et de leurs frontières. Le peuple sahraoui mène un combat loin des feux de l’actualité, des journaux télévisés et des tables de négociations mais face à un mur d’indifférence et de silence. Cette république en exil force le respect et mérite enfin l’application du droit international…
    Mais la dignité se négocie-t-elle ?
    Maurice CUQUEL
    Front polisario : Abréviation de Front populaire de libération de la Saguia el Hamma et du Rio de Oro – Mouvement politique et armé du Sahara occidental, soutenu par l’Algérie et principalement composé d’indépendantistes sahraouis.

    RASD : République Arabe Sahraouie Démocratique.

    MINURSO : Mission des Nations Unies pour l’Organisation d’un référendum au Sahara occidental.

    (1) »Sahraouis : les exilés des sables » (2007), « Sahraouis : du sable, du savoir et l’espoir… » (2009) et « Front polisario : des fusils face au mur » (2011)

  • Brutale répression de manifestations pacifiques à El Aaiun et Smara

    Des manifestations ont eu lieu vendredi à Smara et Boujdour (Sahara occidental sous occupation marocaine) pour appeler à la libération immédiate et inconditionnelle des prisonniers politiques sahraouis et exprimer leur solidarité avec ceux de Gdeim Izik, qui se trouvent à la prison marocaine de Salé depuis plus de 15 mois sans jugement. 
    Les manifestants ont brandi des banderoles sur lesquelles on peut lire : « l’Etat sahraoui indépendant est la solution ». Les forces marocaines ont procédé au verrouillage des lieux et ont dispersé brutalement les manifestants, ainsi qu’au saccage des domiciles des sahraouis.
  • L’UMA et les priorités de l’Algérie

    par Ghania Oukazi
    Le président tunisien semble être le plus disponible pour plaider la cause de l’UMA dont la (re)construction est vivement recommandée par les Etats-Unis et la France. 
    Moncef Marzouki a commencé sa tournée maghrébine par la Mauritanie parce qu’il sait pertinemment que Nouakchott ne rejettera aucune proposition de redémarrage de l’UMA en raison entre autres de ses penchants pour l’option marocaine comme solution du conflit sahraoui et de ses rapprochements des thèses occidentales sur ce sujet. 
    Le président tunisien par intérim a choisi le Maroc comme 2e destination non parce qu’il a des liens familiaux très étroits avec lui mais parce que le Royaume est aussi facile à convaincre d’une construction de l’UMA dans laquelle l’ouverture de ses frontières avec l’Algérie est plus que nécessaire. Elle est devenue presque une exigence si l’on se réfère aux propos incitatifs qu’Américains et Français notamment tiennent à cet effet aux autorités algériennes surtout depuis que Zine El Abidine Ben Ali a été déchu des commandes de la Tunisie. 
    Ce n’est pas un hasard que Mohammed VI a, à plusieurs reprises, quémandé l’ouverture des frontières fermées depuis 1994 après l’attentat de Marrakech. Attentat que les autorités marocaines ont vite fait d’attribuer aux Algériens. 
    Pour rappel, en réaction à ses accusations qu’elles ont jugées infondées et graves, les autorités algériennes ont de suite ordonné la fermeture des frontières terrestres. Décision qui a fait très mal aux Marocains tant ses effets sur leur économie (informelle) seraient, selon eux, désastreuses. Reste que cette fermeture n’a pas que ce «mauvais» côté si l’on croit les habitants des régions nord-est du Royaume. Ces derniers ont relevé l’attention que les responsables marocains accordent depuis à ces territoires. «Le roi a visité Oujda plus de 9 fois», disent certains d’entre eux, fiers de cette attention inattendue. 
    En attendant que son pays organise des élections présidentielles conformément à ses nouvelles lois, Marzouki ne doit pas avoir de grands dossiers à gérer. La plus importante des missions qui semble lui avoir été confiée est celle de persuader les responsables maghrébins de la nécessité de l’UMA. Il est bien dans son élément du moment qu’il est le responsable qui a été le plus approché par les Américains et les Français après la chute de Ben Ali. Résident depuis plusieurs années en France, il a vite retrouvé ses marques dans son pays et vite désigné comme son président. Le message de cette relance a dû, bien sûr, être passé au niveau des différents états-majors des pays maghrébins par les distributeurs de feuilles de route. L’explication de sa faisabilité et des modalités de son exécution semble revenir à Marzouki même si les rues de son pays continuent de bouillonner de contestations. La Tunisie aujourd’hui est apparue aux yeux du monde avec son vrai visage. «C’est un pays qui est complètement désarticulé à cause de la misère et la pauvreté qui minent son peuple», nous disait il y a quelques jours une source diplomatique 
    DES PAYS DANS LA TOURMENTE 
    Si la Tunisie comptait, selon nos sources, au temps de Ben Ali, 400.000 chômeurs, en une année et après la grosse révolte qui l’a secouée, ce chiffre est passé à plus de 850.000. Elle traîne une dette de 20 milliards de dollars dont le service annuel est de 500 millions de dollars. Un montant qui ne lui donne pas une grande marge de manœuvre pour négocier les décisions que pourraient prendre les organisations internationales à son encontre. Voisine de l’Algérie, la Tunisie compte aujourd’hui beaucoup sur son esprit de coopération pour faire redémarrer sa machine économique et sociale. Les Algériens sont les premiers à pouvoir y apporter leur concours direct «en passant leurs vacances sur ses sites touristiques». 
    La Libye est cet autre pays dans la tourmente où Marzouki est allé pour discuter avec ses responsables sur la relance de l’UMA. En proie à des manœuvres et décisions dégageant de forts relents colonialistes, émiettée par les forces de l’OTAN, Tripoli continue à ce jour de compter ses morts et de répertorier ses crimes sur fond de velléités de vengeance jamais égalées. 
    La Libye a aujourd’hui besoin d’être reconstruite. Elle participerait bien dans des programmes intermaghrébins que seule une entité commune est susceptible d’élaborer et de lancer. Sa première inquiétude reste incontestablement la sécurité de ses territoires. Inquiétude qu’elle partage avec l’Algérie en raison des longues frontières qui les lient (ou les séparent). Ce qui l’oblige à collaborer étroitement sur la question avec les autorités algériennes. 
    Les Etats-Unis et la France pour ne citer que ces deux pays qui ont à cœur de participer dans la gestion de cette partie de l’Afrique, compteraient sur la perspicacité du président tunisien et la compréhension de ses homologues maghrébins pour permettre à leurs investisseurs de couvrir les besoins d’un marché maghrébin global de plus de 80 millions de personnes. En ces temps de crise économique mondiale et d’étroitesse de leurs marchés traditionnels, les pays occidentaux veulent jouer gros. Leur objectif premier est aujourd’hui la relance de l’UMA. Nos sources refusent en évidence de reconnaître que l’idée a été «suggérée» par Washington et Paris. «On n’est pas des mineurs, nous aussi on peut donner des leçons !», soutiennent-elles. 
    Alger est la capitale par laquelle le président tunisien achève sa tournée maghrébine. Il sera question pour lui, selon nos sources, de recentrer la question de la relance de l’UMA sur les priorités de l’Algérie puisque c’est le pays le plus concerné par les changements qui en seront générés. «Il est le pays du milieu, il a des frontières avec l’ensemble des pays maghrébins, il est donc le plus concerné par toutes les questions que susciteraient cette (re)construction de l’espace maghrébin», nous dit un responsable. 
    UNE REFORME POUR UNE ENTITE DE 23 ANS D’EXISTENCE VIRTUELLE 
    L’on a déjà mentionné dans ces mêmes colonnes que si le Roi du Maroc a eu à évoquer dans ce sens «un nouvel ordre maghrébin», tout autant que des personnalités politiques françaises, l’Algérie, elle, s’en tient à «une refondation de l’UMA». Lors de la réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UMA prévue à Rabat en principe, le 17 février prochain, Alger compte remettre au goût du jour l’étude qu’elle a élaborée en 2003 suggérant une réforme des instances de l’UMA. Elle plaide, dans ce sens, en faveur d’un élargissement des prérogatives du Conseil des ministres des Affaires étrangères dont celle de décider «même si le sommet des chefs d’Etat ne se tient pas». Elle demande aussi que les différents secteurs d’activités aient la possibilité de se réunir «en cas d’urgence» sans l’aval de ce même sommet. «L’étude est toujours valable puisque rien n’a changé depuis», indiquent nos sources. 
    Il est évident que le président tunisien aura plus de difficultés à convaincre les autorités algériennes d’une relance de l’UMA en l’état actuel des choses. D’autant que rien ne montre que l’Algérie est pressée de rouvrir ses frontières avec un pays qui semble s’accommoder de pratiques de contrebande sans rechigner. C’est ce qui dérange le plus l’Algérie dont les produits, subventionnés de surcroît, enjambent les zones frontalières même fermées. L’on rappelle que le commerce informel à ce niveau a atteint, selon nos sources, 1,100 milliard de dollars. La crise des carburants vécue récemment par l’ouest du pays lui est restée à travers la gorge. 
    L’Algérie veut ainsi intégrer dans l’ordre du jour de la prochaine réunion maghrébine «les questions illégales». C’est-à-dire, disent nos sources, «tout ce qui concerne la sécurité, l’émigration clandestine, la contrebande, le commerce informel». Alger exigerait à cet effet du Conseil des ministres de l’UMA, l’élaboration de nouvelles stratégies et de nouveaux mécanismes de lutte. L’UMA fêtera le 17 février prochain, 23 ans d’existence virtuelle. 
    L’on dit, par ailleurs, que le Maroc tente de réintégrer l’Union africaine qu’il a désertée après l’adhésion du Sahara Occidental. Il est indiqué dans ce sens que les diplomates marocains «manœuvrent» au niveau des commissions de l’UA notamment celles chargées de la sécurité. «S’il veut réintégrer l’UA, il ne doit pas poser de conditions (le retrait du Sahara Occidental)», indiquent nos sources qui notent cependant qu’à leur connaissance «aucune demande de ce genre n’a été enregistrée au niveau de l’UA». En cas où elle le serait, elle pourrait plaider peut-être en faveur d’un début d’acceptation par le Maroc d’un règlement du conflit sahraoui au moins au plan de son aspect institutionnel. L’idée de la tenue d’un référendum dans les territoires occupés pourrait être sérieusement étudiée.
  • Une seule civilisation humaine

    Mireille Fanon-Mendès France
    Le discours de haine et de rejet qui irrigue la classe politique française continue de flirter avec la ligne jaune. Les propos rectificatifs qui tombent a posteriori n’y changent rien. La France s’enfonce dans un discours qui se construit de façon méthodique, au-delà de tout électoralisme, autour du racisme et de l’exclusion, autour de la notion de «civilisation supérieure». 
    La polémique autour des propos de Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, sur la hiérarchie des civilisations, est l’expression de la grave crise morale traversée par la classe politique française. Face à une déclaration scandaleuse, il ne s’est trouvé qu’un seul député pour crier son indignation. Serge Letchimy, député de la Martinique, est cloué au pilori parce qu’il aurait évoqué les camps de concentration, lieu ultime de la barbarie, en tant que conséquence tragique d’une idéologie européenne. Pourtant qu’y a-t-il de choquant dans la déclaration du député ? Le fait qu’il ait osé évoquer le génocide des juifs d’Europe perpétré par des Européens pour illustrer la continuité et la prégnance d’une certaine idéologie occidentale ? Ou qu’il ait accusé le ministre de l’Intérieur de racolage des voix d’extrême-droite ? 
    Au-delà des contorsions rhétoriques et des manœuvres électoralistes, ce que révèle la polémique autour des déclarations du ministre de l’Intérieur est la nature réelle d’une élite de pouvoir qui n’hésite plus à exprimer un discours de haine dont la cible prioritaire est l’Islam et les musulmans. Face à une crise qu’elle est bien incapable de juguler et au creusement, sans précédent, des inégalités dont elle est responsable, une partie non négligeable de la droite française revient vers ses tropismes racistes fondateurs. 
    Le calcul électoraliste, froid, qui consiste à tout faire pour capter un électorat sensibilisé par des années de matraquage médiatique au discours de peur et de haine du populisme démagogique, n’est pas la seule explication. Les élites politiques françaises, et la droite n’est pas seule en cause – tant est engagée la responsabilité du Parti Socialiste -, n’ont jamais reconnu l’héritage raciste et colonial de la République. Et qu’on ne vienne pas parler de repentance ou d’auto-flagellation ! Il s’agit du courage de regarder l’histoire en face, sans faux-fuyants ni mystification politicienne. Le déni et l’occultation expliquent pour une large part la renaissance du discours essentialiste et les tentatives de réécriture d’une histoire mythifiée. Les soubassements de l’idéologie raciste et suprématiste, dont le nazisme a été une évolution naturelle, sont intacts. 
    C’est sur ces bases que se construit méthodiquement le discours de l’islamophobie. La stigmatisation de l’Islam et des musulmans, derrière des proclamations lénifiantes, est assumée au nom de la lutte contre les intégrismes et une instrumentalisation de la laïcité comme moyen d’exclusion. Personne n’est dupe et tous lisent clairement les intentions de dirigeants politiques dont le cynisme n’a d’égal que l’irresponsabilité. De dérapages calculés en petites phrases lourdes de sens, le ministre de l’Intérieur, avec d’autres figures de ce courant, assume la dérive du sarkozysme – déclinaison locale du néo-conservatisme américain- vers les régions les plus sinistres d’une idéologie à l’exact opposé des valeurs universelles proclamées par la République. En réactualisant l’inepte théorie de la guerre des civilisations, ce ministre réinjecte effectivement dans le débat politique des notions en vigueur au cours des heures les plus sombres de l’histoire de France.
    Devant ces attaques frontales contre les plus hautes valeurs de l’universalisme et contre l’esprit de ce que fut la résistance française, l’heure n’est plus aux atermoiements ni à la réprobation silencieuse. La mobilisation résolue contre le racisme et toutes ses déclinaisons est plus que jamais la priorité pour tous ceux qui veulent une France en paix avec elle-même et dans laquelle l’ensemble des citoyens, athées ou de toutes confessions, peuvent se reconnaitre dans le respect, l’égalité, et le droit. L’Islam et les musulmans autant que les autres. Les esprits retors au service du racolage politique le plus éhonté peuvent vociférer et occuper le champ médiatique, ils ne parviendront pas à modifier le cours de l’histoire. Il n’y a pas de civilisation supérieure ou de civilisation inférieure, il n’y a qu’une seule civilisation, c’est celle de l’humanité toute entière. 
    PAMBAZUKA NEWS, 13/2/2012
  • Guéant le barbare : pourquoi Letchimy a raison

    « Toutes les civilisations ne se valent pas », a donc déclaré en 2012 un ministre de la République, évoquant des civilisations « plus avancées » que d’autres ou« supérieures » à d’autres (lire ici notre article), puis précisant que « ce qui est en cause, c’est la religion musulmane » (voir ici la vidéo et là un article qui en rend compte). Un député de la Nation lui a répondu que c’était « une injure faite à l’homme », sur le fumier de laquelle avaient poussé ces « idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration ». Face à l’ignominie proférée par ce ministre, Claude Guéant, ce député, Serge Letchimy, a sauvé notre honneur. Démonstration dans ce parti pris. 
    Il est des temps de déchéance nationale où l’on en vient à avoir honte non seulement des dirigeants de son pays, mais aussi de cette presse qui accompagne leur bassesse. C’est ainsi qu’au lendemain de l’intervention à l’Assemblée nationale du député (apparenté PS) de la Martinique et président de son conseil régional, on lit, mercredi 8 février, dans Le Figaro(en manchette de Une) et dans Libération (en page 12, dans le corps de l’article) le même mot :« dérapage ». « Le dérapage du député Letchimy efface celui de Guéant », écrit le quotidien classé à gauche, tandis que le brûlot de la droite titre : « Le dérapage d’un député PS enflamme la campagne ».
    L’incendiaire, ce serait donc l’héritier politique d’Aimé Césaire, leader du Parti progressiste martiniquais. Et son « dérapage », qui effacerait la monstruosité énoncée par Claude Guéant, elle-même réduite à un simple écart de langage, devrait être mis sur le compte de « circonstances atténuantes » (Libération toujours), liées, pour reprendre les termes de Pierre Moscovici, directeur de la campagne socialiste à la présidentielle, à « sa sensibilité, celle d’un homme qui appartient aux Antilles ». Assigné à son origine, voire à la couleur de peau qui en témoigne, Serge Letchimy est ainsi renvoyé au registre passionnel de l’émotion.
    C’est tout le contraire : le premier élu de la Martinique, président de son exécutif régional, a tenu un discours de raison, aussi argumenté que nécessaire, aussi justifié que pertinent. Aucun des deux articles de presse précités ne cite précisément la question au premier ministre de Serge Letchimy, se contentant d’en extraire les mots « nazisme » et « camp de concentration » comme s’il s’agissait de cris, d’injures ou d’insultes lancés dans l’hémicycle parlementaire. Il faut donc commencer par lire le raisonnement développé par le député martiniquais, et c’est alors que l’on comprend qu’il n’a fait qu’énoncer les principes qui ont fondé les valeurs démocratiques européennes aux lendemains de la barbarie nazie et du génocide juif.
    En interpellant François Fillon, mardi 7 février, Serge Letchimy s’adresse en réalité à Nicolas Sarkozy qui avait qualifié, la veille, de « bon sens » la défense d’une hiérarchie des civilisations par le ministre de l’intérieur, son homme de confiance, devant les extrémistes de droite de l’UNI. Il n’est pas indifférent de souligner que le gouvernement a quitté la séance quand l’orateur en vint à évoquer ce « jeu dangereux et démagogique » qui consiste à vouloir « récupérer sur les terres du FN » cette « France obscure qui cultive la nostalgie » de la colonisation. Il n’est pas indifférent non plus que cet affront du pouvoir exécutif au pouvoir parlementaire n’ait pas de précédent connu depuis… 1898, c’est-à-dire depuis l’affaire Dreyfus, scène inaugurale de l’émergence de l’extrême droite moderne.
    « Non, M. Guéant, ce n’est pas “du bon sens”, commence le député, c’est simplement une injure qui est faite à l’homme. C’est une négation de la richesse des aventures humaines. C’est un attentat contre le concert des peuples, des cultures et des civilisations. Aucune civilisation ne détient l’apanage des ténèbres ou de l’auguste éclat. Aucun peuple n’a le monopole de la beauté, de la science du progrès ou de l’intelligence. Montaigne disait “chaque homme porte la forme entière d’une humaine condition”. J’y souscris. Mais vous, M. Guéant, vous privilégiez l’ombre. Vous nous ramenez, jour après jour, à des idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial. Le régime nazi, si soucieux de purification, était-ce une civilisation ? La barbarie de l’esclavage et de la colonisation, était-ce une mission civilisatrice ? »
    Serge Letchimy fut ensuite privé de parole par le président de l’Assemblée nationale quand il se mit à évoquer cette « autre France, celle de Montaigne, de Condorcet, de Voltaire, de Césaire ou d’autres encore, une France qui nous invite à la reconnaissance, que chaque homme… » (lire ici notre article). Or il n’avait fait qu’illustrer lui-même ce qu’a défendu cette France-là, celle qui s’est finalement, et tardivement, accomplie dans l’affirmation politique qui fonde notre République : l’égalité des humanités, quelles que soient leurs origines, leurs races, leurs croyances, leurs cultures, leurs civilisations.
    UNE OFFENSIVE IDEOLOGIQUE CONTRE LE PRINCIPE D’EGALITE
    Comme famille intellectuelle, l’extrême droite moderne s’est affirmée puis construite sur la négation de ce principe d’égalité. Quelles que soient ses incarnations partisanes, ses variantes nationales ou ses radicalités diverses, son credo fondateur est le refus de l’égalité et son projet politique, la construction d’une hiérarchie. Hiérarchie entre nationaux, entre citoyens, entre peuples, entre nations, entre cultures, entre races, entre religions, etc.
    Et c’est bien ce credo que, sous notre actuel régime de droite extrême, un ministre de la République a choisi de banaliser dans une provocation calculée jusque dans ses choix sémantiques. Ainsi de cette promotion, par la novlangue sarkozyenne, du mot « relativisme »pour disqualifier l’idéal républicain d’égalité – égalité des droits, des possibles, des libertés, des humanités, etc.
    Or ce credo inégalitaire est potentiellement meurtrier, et nous le savons, en Europe, d’expérience désastreuse vécue. Hiérarchiser les humanités et leurs créations (cultures, religions, civilisations), c’est ouvrir la voie au tri et à la sélection : écarter ce qui est déclaré « moins avancé », sélectionner ce qui est supposé « supérieur », nier l’humanité de ce qui est jugé « inférieur ».
    Ce n’est certes pas une condition suffisante – il y a encore loin, heureusement, de l’aveuglement idéologique à la politique criminelle –, mais c’est une condition nécessaire : dans la pensée habituée des civilisations supérieures, les peuples européens n’ont-ils pas fini par s’accommoder, avec une impuissance muette ou une complaisance active, des crimes commis contre les inférieurs qu’elles discriminaient ?
    C’est bien pourquoi, sous l’effet de l’immédiate conscience de la catastrophe européenne de la première moitié du XXe siècle, notre Constitution, dans son préambule de 1946 repris en 1958, a tenu à préciser le sens de la proclamation originelle contenue dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits », énonce cette dernière quand le préambule ajoute : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »
    L’égalité donc, toujours et encore, fondée sur le refus d’une distinction hiérarchisant races, religions et croyances, auxquelles la Constitution de 1958 ajoutera « l’origine », précisant aussi que la République « respecte toutes les croyances ». L’égalité comme principe créateur de libertés et de progrès : le droit commun d’avoir des droits, dans le sillage de la philosophie du droit naturel qui ébranla la tyrannie de monarchies fondées sur une hiérarchie de privilèges qui triait l’humanité dès sa naissance. Tel est le scandale démocratique qu’hier, la droite anti-républicaine, de son cœur conservateur à ses franges fascistes, s’est acharnée à combattre jusqu’à s’épanouir sous le régime de Vichy.
    Il fallut sa chute avec celle du nazisme dont il était l’allié, des monceaux de cadavres, deux guerres mondiales et des crimes contre l’humanité, pour obliger cette droite à se convertir à la République, par le détour de la dissidence gaulliste. Or c’est cette conversion qu’ébranle et corrompt le sarkozysme dans sa course à l’abîme : en stigmatisant une religion particulière, l’islam, et la culture musulmane qui lui est associée, en ouvrant ainsi la voie à la persécution ordinaire d’une partie de nos compatriotes, il contredit la République elle-même. Tissant de nouveau les liens qui avaient façonné les droites réactionnaires de l’entre-deux-guerres, la droite aujourd’hui au pouvoir fait droit à l’extrême droite, à son idéologie autoritaire et à son obsession xénophobe.
    Bien naïfs ceux qui se rassurent à bon compte en pensant qu’elle le fait par seul calcul électoral. La vérité, c’est qu’elle y croit vraiment et que Claude Guéant est sincèrement convaincu de ce qu’il dit. Car, si l’antisémitisme qui les unissait s’est quelque peu dissipé sous le poids du crime européen, il reste une affaire toujours en souffrance qui continue de rapprocher droite réactionnaire et extrême droite : la question coloniale. C’est ce fantôme qui continue de rôder, depuis le placard à mémoires inapaisées où il fut enfermé en 1962 avec la faillite de l’empire colonial dans la perdition algérienne, cette guerre aussi sale qu’injuste, de déni des droits du peuple algérien et d’abjection politique par la banalisation de la torture, cette guerre aussi sale qu’injuste, de déni des droits du peuple algérien et d’abjection politique par la banalisation de la torture.
    Si l’interpellation rationnelle de Serge Letchimy a provoqué ce scandale, c’est parce qu’elle visait précisément ce point, où se joue l’avenir de la France dans sa relation au monde, entre crispation identitaire et nécrose nationale ou bien, comme nous le souhaitons, vérité de son histoire et réconciliation de ses mémoires. L’hystérie politique que le député de la Martinique a obtenue pour seule réponse est un aveu : il frappait juste et disait vrai. Loin de proférer une énormité grossière en associant la négation de l’autre par le colonialisme et l’anéantissement de l’autre sous le nazisme, il ne faisait que rappeler la France, notre France, à la conscience lucide de l’engrenage criminel qui a conduit à la catastrophe européenne.
    SAVOIR PENSER ENSEMBLE LE COLONIALISME ET LE NAZISME
    Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, penser ensemble le colonialisme et le nazisme était une opération intellectuelle logique. Il fallait comprendre comment l’innommable avait pu advenir, ce surgissement de la barbarie au cœur de la civilisation. Comment les sociétés européennes avaient-elle pu accepter leur propre brutalisation criminelle, comment leurs peuples avaient-ils pu être majoritairement indifférents à la destruction des Juifs d’Europe, comment leurs élites cultivées avaient-elles pu s’accommoder de la discrimination raciale qui la précéda ?
    Dès 1951, dans son livre pionnier Les Origines du totalitarisme, la philosophe Hannah Arendt met l’expansion impérialiste des dominations coloniales à la charnière de ce basculement européen dans l’horreur. Elle n’hésite pas à discerner dans la domination coloniale, et notamment dans la « mêlée pour l’Afrique », dénuée de toute limite éthique, « maints éléments qui, une fois réunis, seraient capables de créer un gouvernement totalitaire fondé sur la race ». Elle y décèle même, entre dispositifs bureaucratiques et massacres de masse, l’une des prémisses du système concentrationnaire.
    A la manière d’un renvoi à l’envoyeur, la démesure coloniale a fait retour sur l’Europe, produisant en son sein des barbares civilisés alors qu’elle croyait civiliser des barbares qui lui seraient extérieurs. Comme l’a amplement démontré l’historien Enzo Traverso dans son essai sur La Violence nazie, sous-titré Une généalogie européenne, l’ascension idéologique du racisme biologique fut parallèle à l’essor d’un colonialisme qu’il légitimait. Dès lors, souligne-t-il, « deux discours complémentaires se superposent : la “mission civilisatrice” de l’Europe et l’“extinction” des “races inférieures” ; en d’autres termes, la conquête par l’extermination ».
    Rappelant que la notion d’« espace vital », loin d’être une invention nazie, était un lieu commun de la culture européenne à l’époque de l’impérialisme, de ses civilisations supérieures et de ses humanités inférieures, Enzo Traverso décrit « le lien qui rattache le national-socialisme à l’impérialisme classique », dont le ressort était la conviction de l’Europe « d’accomplir une mission civilisatrice en Asie et en Afrique ». Et il souligne que, pour les analystes des années trente et quarante du siècle passé, ce lien était évident. Or c’est bien cette évidence que Serge Letchimy a brandie à la face de tous ceux qui, de nouveau, laissent dire, au XXIe siècle, de façon officielle et ministérielle, étatique et nationale, qu’il existe des civilisations supérieures à d’autres.
    Faute d’un travail de deuil de cet imaginaire colonial, le voici donc qui resurgit avec la violence d’un refoulé trop longtemps contenu. Que la droite le convoque à la manière d’une diversion n’enlève rien à sa dangerosité foncière : c’est une école de barbarie, ici même, comme l’avait dit avec force, dès 1950, un autre député martiniquais, Aimé Césaire, dans son Discours sur le colonialisme. Tout connaisseur de ce texte célèbre en aura entendu l’écho dans l’intervention de Serge Letchimy, tant on y trouve déjà l’affirmation du lien entre crimes coloniaux et crimes hitlériens : le « formidable choc en retour », selon Césaire, de cette corruption fatale que fut le colonialisme et qui a fait le lit de la barbarie nazie, sur ce fumier commun de la hiérarchie des humanités et de leurs civilisations.
    Entraînant dans son sillage la cupidité marchande, la brutalisation des sociétés, la haine raciale et les théories pseudo-savantes qui la légitiment au nom d’une « mission civilisatrice » d’un Occident supérieur, l’aventure coloniale a fini par déciviliser le colonisateur et par ensauvager l’Europe elle-même. « Où veux-je en venir ? »demande Césaire dans son Discours, qui fut provoqué par la benoîte affirmation chez certains intellectuels français de la« supériorité incontestable de la civilisation occidentale ». « A cette idée, répond-il : que nul ne colonise innocemment, que nul non plus ne colonise impunément ; qu’une nation qui colonise, qu’une civilisation qui justifie la colonisation – donc la force – est déjà une civilisation malade, une civilisation moralement atteinte, qui, irrésistiblement, de conséquence en conséquence, de reniement en reniement, appelle son Hitler, je veux dire son châtiment. Colonisation : tête de pont dans une civilisation de la barbarie d’où, à n’importe quel moment, peut déboucher la négation pure et simple de la civilisation. »
    UNE CONSTERNANTE REGRESSION A LA FACE DU MONDE
    En évoquant ces « idéologies européennes qui ont donné naissance aux camps de concentration au bout du long chapelet esclavagiste et colonial », Serge Letchimy ne faisait donc que prolonger Césaire, son père en politique et cette grande figure dont il fut dit, au Panthéon, le 6 avril 2011, que, lors de sa mort en 2008, « la France venait de perdre l’un de ses enfants qui lui faisait le plus honneur ». Ces mots furent prononcés par Nicolas Sarkozy, durant une « Cérémonie d’hommage solennel de la Nation » à Aimé Césaire, dans un discours vibrant, célébrant ce combattant qui « voulait l’égalité réelle des droits ». Si Claude Guéant n’en a aucun souvenir, pas plus que le chef de l’Etat qui salue le« bon sens » de ce barbare civilisateur, c’est sans doute que, pour cette France obscure qu’incarne cette présidence, il n’est d’anticolonialiste respectable que mort.
    Serge Letchimy est bien vivant, et son échappée belle nous indique le chemin d’élévation par lequel sortir de cette déchéance nationale. Il nous appelle à un sursaut de la même manière que Césaire interpellait une Europe oublieuse d’elle-même, infidèle à ses propres principes, irrespectueuse de ce qu’elle proclame.« Et c’est là le grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme, écrivait-il : d’avoir trop longtemps rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir eu, d’en avoir encore une conception étroite et parcellaire, partielle et partiale et, tout compte fait, sordidement raciste. » La nouveauté sarkozyste, c’est de l’assumer sans gêne aucune, de revendiquer ces hiérarchies et de théoriser ces inégalités, et d’entraîner ainsi la France dans une consternante régression à la face du monde.
    La vérité, c’est que ce pouvoir est habité par la peur, et c’est pourquoi il faut lui opposer le courage, un courage dont l’exemple redonne confiance – courage des principes, courage des audaces, courage des résistances, courage des hauteurs, courage des solidarités. Hier comme aujourd’hui, la peur du monde est toujours au ressort des xénophobies et des racismes. Incapables de relever les défis du monde, de les comprendre et de les maîtriser, les gouvernants qui font commerce de ces haines cherchent à survivre par la désignation de boucs émissaires de façon que se libère et s’épuise la peur qui les anime. C’est en effet, comme le rappelait le député de la Martinique, une très longue histoire qui, hélas, fait aujourd’hui retour.
    « C’est un homme qui a peur », écrivait dès 1946 Jean-Paul Sartre à propos de l’antisémite dans ses Réflexions sur la question juive. Mais ce portrait vaut aussi bien pour le négrophobe ou pour l’islamophobe d’aujourd’hui : « C’est un homme qui a peur. Non des Juifs, certes : de lui-même, de sa conscience, de sa liberté, de ses instincts, de ses responsabilités, de la solitude, du changement, de la société et du monde ; de tout sauf des Juifs. (…) Le Juif n’est ici qu’un prétexte, ailleurs on se servira du nègre, ailleurs du Jaune. Son existence permet simplement à l’antisémite d’étouffer dans l’œuf ses angoisses en se persuadant que sa place a toujours été marquée dans le monde, qu’elle l’attendait et qu’il a, de tradition, le droit de l’occuper. L’antisémitisme, en un mot, c’est la peur devant la condition humaine. »
    Les réflexions de Sartre avaient déjà débusqué ce qui est toujours le nœud du blocage français, et qu’il est bien temps de déverrouiller : le refus d’admettre l’autre comme tel, le souci de l’assimiler à soi, cet universel abstrait qui n’admet le Juif, le Noir, l’Arabe qu’à condition qu’il se dépouille de son histoire et de sa mémoire. Sartre brocardait ainsi ce faux ami des Juifs, « le démocrate » qui, au Juif, reproche « volontiers de se considérer comme juif » tandis que l’antisémite lui reproche plus radicalement « d’être juif ». « Il ne connaît ni le Juif, ni l’Arabe, ni le nègre, ni le bourgeois, ni l’ouvrier, ajoutait-il, mais seulement l’homme, en tout temps, en tout lieu pareil à lui-même », et c’est ainsi qu’il « manque le singulier : l’individu n’est pour lui qu’une somme de traits universels. Il s’ensuit que sa défense du Juif sauve le juif en tant qu’homme et l’anéantit en tant que Juif. »
    Nous voici au cœur du défi qui attend la gauche et, au-delà d’elle, la France : non pas seulement s’opposer aux apparences extrémistes de la politique actuelle, mais réussir vraiment à lui opposer un imaginaire concurrent, créateur et mobilisateur. Penser à la fois l’universel et le singulier, la solidarité et la diversité, l’unité et la pluralité. Et, par conséquent, refuser résolument l’injonction néocoloniale d’assimilation qui entend contraindre une partie de nos compatriotes (de culture musulmane, d’origine arabe, de peau noire, etc.) à s’effacer pour se dissoudre, à se blanchir en somme. Bref, qui ne les accepte que s’ils disparaissent.
    RETROUVER « CE POUVOIR QU’A LE MOI DE DIRE TU »
    Cet imaginaire alternatif fut fort bien défini par Jean-Paul Sartre dans cette vigoureuse interpellation de nos silences, oublis et aveuglements, que constituent ses Réflexions sur la question juive écrites au lendemain de la catastrophe génocidaire. « Ce que nous proposons, résumait-il, est un libéralisme concret. Nous entendons par là que toutes les personnes qui collaborent, par leur travail, à la grandeur d’un pays, ont droit plénier de citoyen dans ce pays. Ce qui leur donne ce droit n’est pas la possession d’une problématique et abstraite “nature humaine”, mais leur participation active à la vie de la société. Cela signifie donc que les Juifs, comme aussi bien les Arabes ou les Noirs, dès lors qu’ils sont solidaires de l’entreprise nationale, ont droit de regard sur cette entreprise ; ils sont citoyens. Mais ils ont ces droits à titre de Juifs, de Noirs, ou d’Arabes, c’est-à-dire comme personnes concrètes. »
    Plus d’un demi-siècle a passé, et cet horizon de réconciliation avec nous-mêmes, notre peuple et sa diversité, est toujours au lointain : ce qui fut difficilement conquis par nos compatriotes juifs – être admis comme français et juifs –, par le détour nécessaire d’un réveil de mémoire et d’une vérité de l’histoire, reste à conquérir durablement pour nos compatriotes arabes et noirs. Il le reste d’autant plus que, face à la triple crise – démocratique, économique, sociale – qui mine notre pays, la droite extrême a choisi, avec entêtement, d’emprunter une voie de division où la France est montée contre elle-même, dans une guerre des identités, des origines, des religions, etc.
    L’oligarchie au pouvoir veut des pauvres (c’est-à-dire tout ce qui est moins riche qu’elle) qui la laissent tranquille en se faisant bataille les uns les autres, plutôt qu’en retrouvant ce qui les rassemble – leur condition sociale, leur situation salariale, leur habitat commun, leurs conditions de vie, etc. C’est bien pourquoi la présidence de Nicolas Sarkozy n’a eu de cesse de répandre ce poison idéologique de l’inégalité des hommes et de la hiérarchie des cultures. Du débat avorté sur une identité nationale au singulier (lire ici notre réplique) jusqu’au discours de Grenoble visant les Français d’origine étrangère (lire là notre colère), sans oublier des politiques migratoires de plus en plus répressives et injustes ni la stigmatisation, à travers les Roms européens, de tous ceux qui refusent d’être assignés à une identité ou un lieu unique, cette politique obsessionnelle ne fait que se poursuivre, en montant d’un cran idéologique, avec l’éloge par le ministre de l’intérieur des civilisations supérieures.
    Ce ne sont pas que des mots : une immense violence, qui n’est pas seulement symbolique, est ainsi libérée. Toutes celles et ceux qu’elle vise et désigne, à raison de leur origine, de leur apparence ou de leur religion, la vivent et la supportent déjà, dans leur chair et dans leur âme. Allons-nous les laisser seuls, comme si c’était affaire de sensibilité individuelle et non pas de principes collectifs ? Allons-nous rester indifférents à la remontée, non plus à la périphérie du débat public mais en son centre, des idéologies meurtrières d’hier, cette barbarie nichée dans le délire pathologique de civilisations égarées ? Allons-nous rester silencieux ?
    Dans Causes communes (Stock), un essai récent sur les solidarités nouées entre des Juifs et des Noirs autour de la conscience commune des persécutions qui les visaient, la socio-anthropologue Nicole Lapierre indique ce que pourrait être un sursaut véritable, celui d’un humanisme concret qui se refuse à uniformiser ou banaliser : l’empathie, suggère-t-elle. L’empathie, c’est-à-dire « la capacité à prendre et à comprendre le point de vue d’autrui, à concevoir son expérience, sa pensée, ses sentiments, sans pour autant se fondre ni se confondre avec lui ». Cette empathie, insiste-t-elle, qui « va à l’encontre de la vieille et détestable recette des pouvoirs incertains consistant à stigmatiser des populations ou à les dresser les unes contre les autres, pour faire diversion ou servir d’exutoire. Noirs contre Juifs, chrétiens contre musulmans, gens d’ici contre gens du voyage, ou d’autres encore, peu importent les protagonistes, dans ce dangereux jeu de dupes ».
    Illustrant ce chemin d’élévation, elle cite le romancier André Schwarz-Bart, narrateur avec Le Dernier des justes de la persécution juive, puis avec La Mulâtresse solitude de la persécution noire, qui évoquait « le pouvoir qu’a le Moi de dire Tu ». Auquel fait écho cet autre grand Martiniquais, Frantz Fanon, qui, dans les dernières lignes de Peau noire, masques blancs, lançait en 1952 cette interpellation qui résonne encore dans notre présent :« Supériorité ? Infériorité ? Pourquoi tout simplement ne pas essayer de trouver l’autre, de sentir l’autre, de me révéler l’autre ? Ma liberté ne m’est-elle donc pas donnée pour édifier le monde du Toi ? »
    Notre empathie a trop longtemps fait défaut. Aux Juifs, aux Noirs, aux Arabes, aux musulmans, aux Roms et aux Tziganes, etc. : à tous ceux qui, successivement ou en même temps, sont les victimes de cette barbarie dont Claude Guéant est le pédagogue officiel. Il est bien temps de lui opposer le langage de la civilisation. 
    PAMBAZUKA NEWS, 13/2/2012
  • Sénégal : De l’ingérence de la France et des Etats Unis

    par Demba Moussa Dembélé
    Lâché par la France et les Etats Unis, Wade découvre que l’impérialisme n’a pas d’amis, juste des intérêts. Après qu’il les servis contre Gbagbo et contre Khadafi, voilà que les Etats Unis et la France le lâchent face à la pression populaire d’un peuple qui ne veut plus de lui. Mais que les Sénégalais se détrompent. Ni Obama ni Sarkozy ne se soucient de la démocratie et du respect des Droits de l’homme. Ils cherchent surtout à préserver leurs intérêts géostratégiques dans une région où l’instabilité du Sénégal pourrait avoir des conséquences graves. 
    Après les déclarations des représentants du Département d’Etat des Etats-Unis et celle de M. Alain Juppé, ministre français des Affaires étrangères, on a vu M. Sérigne Mbacké Ndiaye, le porte-parole du président Wade, et Me Madické Niang, ministre des Affaires étrangères, se relayer pour fustiger l’ingérence de la France et des Etats-Unis dans le processus électoral au Sénégal et en appeler « au patriotisme » des leaders de l’opposition pour condamner cette ingérence. Me Madické Niang ajoutera même que le Sénégal est un « pays souverain » qui n’acceptera « aucun diktat ». 
    UNE SERVILITE A TOUTE EPREUVE A L’EGARD DE L’OCCIDENT 
    On peut penser que ces déclarations traduisent la grande amertume que leur patron, le président Wade, a dû ressentir. Voilà un homme, «complexé de la tête aux pieds » comme aime à le dire Amath Dansokho, l’un des hommes politiques sénégalais qui le connaît le mieux, dont tous les faits et gestes, tout le comportement, toutes les déclarations et prises de positions visent à plaire aux dirigeants occidentaux, surtout Obama et Sarkozy. 
    Tous les prétextes sont bons pour soutenir leurs politiques en Afrique et ailleurs dans le monde, même au détriment des intérêts fondamentaux du Sénégal. En témoignent la rupture des relations diplomatiques avec l’Iran, la position ambigüe du Sénégal sur l’admission de la Palestine à l’ONU, le soutien inconditionnel à Sarkozy dans sa guerre contre le régime de Gbagbo en Côte d’Ivoire. Le cap dans la servilité de Wade sera franchi avec la trahison de Kadhafi et de la position de l’Union africaine sur l’agression impérialiste de l’OTAN contre la Libye 
    Pendant que l’Afrique cherchait à arrêter cette agression, Wade lui, préféra se mettre au service de celle-ci et trahir Kadhafi dont il fut l’un des courtisans les plus zélés. Le monde se souvient de son voyage à Benghazi pour aller soutenir les « rebelles » libyens alors que l’OTAN était en train de détruire la Libye et cherchait à assassiner Kadhafi et sa famille. Le voyage de Benghazi avait été préparé à partir de Paris et Wade et son fils avaient été accompagnés par des avions de combat français. Il est le seul chef d’Etat qui se soit rendu en Libye avant la fin de la guerre ! 
    Allant toujours plus loin dans la servilité à l’égard de ses « amis » occidentaux, Wade avait dit lors d’un déplacement à Paris que contrairement aux autres chefs d’Etat africains, il était pour « le droit d’ingérence » contre les « dictateurs » qui répriment leurs peuples. Tant qu’il s’agissait des autres, tout va bien. Mais voilà que ce « droit d’ingérence » lui tombe sur la tête comme une massue. Comme les autres dictateurs, il est en train de réprimer son peuple qui lui demande tout simplement de respecter la Constitution. Il a déjà sur la conscience la mort de 6 personnes et plusieurs dizaines de blessés. Malgré tout cela, il croyait avoir droit à un traitement « spécial » vu sa carrière de larbin au service de l’Occident. C’est pourquoi Abdoulaye Wade doit certainement ressentir les injonctions de la France et des Etats-Unis comme une véritable « trahison ». 
    LES SEULS « AMIS » DE L’IMPERIALISME SONT CEUX QUI SERVENT SES INTERETS
    Ainsi donc, le président Wade apprend-il à ses dépens que l’impérialisme n’a pas « d’amis », surtout dans les pays dominés. Aussi longtemps qu’il pouvait servir les intérêts géostratégiques, économiques et politiques de la France et des Etats-Unis, il avait droit aux sourires convenus et pouvait prétendre être leur « ami ». Mais aujourd’hui qu’il est vomi par la majorité de son peuple, que son régime est à bout de souffle, il ne peut plus leur être utile. C’est pourquoi ils lui montrent la porte dans le but de sauver leurs intérêts au Sénégal et dans la sous-région.
    Les Sénégalais ne sont pas dupes et savent bien que les déclarations des Etats-Unis et de la France, demandant le départ de Wade, n’ont rien à voir avec la défense de la démocratie ou des droits de l’homme. Ce qu’ils craignent, c’est la déstabilisation de la sous-région consécutive à de troubles graves qui pourraient se produire au Sénégal suite à l’entêtement de Wade. Une telle déstabilisation pourrait nuire à leurs intérêts. C’est pourquoi ils pensent que la « stabilité » passe par le départ de Wade. Or dans leur jargon, « stabilité » veut tout simplement dire rester dans le giron de l’impérialisme occidental et continuer à servir ses plans géostratégiques. 
    Comme on le voit, ni au Sénégal ni en Côte d’Ivoire, ni en Libye ni en Egypte, les interventions des Etats-Unis et de la France, tout comme celles des autres pays occidentaux, n’ont été motivées par les « droits de l’homme » ou la « démocratie ». L’impérialisme est un système tyrannique et cynique qui n’hésite pas à semer la terreur et la mort partout pour atteindre ses objectifs. Il n’utilise le langage des droits de l’homme et de la démocratie que comme instrument de propagande au service de sa stratégie de domination et de contrôle des ressources de la planète. . 
    UN REGIME AUX ABOIS 
    Les gesticulations ridicules des porte-parole de Wade traduisent le profond désarroi d’un régime et d’un homme lâché par ses principaux parrains occidentaux. Il avait nourri l’illusion qu’il pouvait obtenir leur soutien ou du moins leur « compréhension » dans son ambition insensée de placer son fils à la tête du Sénégal. C’est l’échec de ce plan qui l’a amené à vouloir violer la Constitution en briguant un troisième mandat. Il croyait pouvoir compter sur Sarkozy et Obama pour faire accepter cette violation et organiser un coup d’état électoral pour se maintenir au pouvoir contre la volonté du peuple sénégalais. 
    Un journal sénégalais a dit récemment que le voyage de Benghazi et la trahison de Kadhafi avaient pour contrepartie un tel soutien. Apparemment, il a été floué par ses parrains qui ne veulent plus s’encombrer d’un président et d’un régime au bout du rouleau. Lâché par ses parrains et vomi par la majorité du peuple sénégalais, le président Wade doit se rendre à l’évidence : son régime est fini, bien fini, quoi qu’il arrive, quoi qu’il fasse. 
    Pambazuka News, 2012-02-12, Numéro 222
  • Quand Marzouki joue dans la cour des grands

    Le président Moncef Marzouki est arrivé hier à Alger au terme de sa tournée maghrébine, dans le but de relancer l’Union du Maghreb arabe. Mais, dans le fond, ce sont surtout les régions ouest frontalières de l’Algérie que Moncef El-Marzouki voudrait voir se développer grâce à l’aide de l’Algérie.
    Cela étant, Marzouki a été accueilli comme il se doit par les autorités algériennes qu’il n’a pas hésité à irriter ces derniers temps, par ses déclarations, que ce soit en ce qui concerne l’UMA, les relations algéro-marocaines, la question du Sahara occidental, ou encore le Printemps arabe.
    Selon la présidence de la république algérienne :“cette visiteentre dans le cadre du renforcement du dialogue et de la concertation entre les deux pays, elle permettra de raffermir les relations de fraternité, de bon voisinage et de coopération et d’examiner les moyens de les renforcer dans les différents domaines conformément aux aspirations des deux peuples frères”
    Pour rappel, le président tunisien avait affirmé son intention de rassembler les dirigeants du Maghreb pour un sommet à Tunis. De Nouakchott, il avait même laissé entendre que tous les dirigeants maghrébins étaient d’accord et avait laissé entendre que la balle était, désormais, dans le camp algérien.
    De son côté, le président tunisien a affirmé, à la veille de sa visite en Algérie, que les attentes de la Tunisie vis-à-vis de l’Algérie sont “très importantes” et qu’il se déplacera en Algérie avec quelques idées de développement conjoint.
    Marzouki cherche d’abord à créer un climat de confiance et apaisé entre les pays du Maghreb, et en même temps, chercher des solutions pour son pays.Mais à trop vouloir on risque de tout perdre!
    Melekher, 13/2/2012
  • Moncef El Marzouki veut son UMA

    Par Maissa Naili
    Après une tournée maghrébine qui l’a conduit au Maroc et en Mauritanie, le président tunisien Moncef El Marzouki est arrivé hier à Alger accompagné d’une importante délégation ministérielle pour une visite de travail de deux jours. 
    A son arrivée, le président tunisien s’est immédiatement entretenu avec le président Bouteflika sur différentes questions communes. A ce sujet, un communiqué de la présidence a fait savoir que cette visite  » entre dans le cadre du renforcement du dialogue et de la concertation entre les deux pays « , et permettra de  » raffermir les relations de fraternité, de bon voisinage et de coopération et d’examiner les moyens de les renforcer dans les différents domaines conformément aux aspirations des deux peuples frères « . 
    Cette occasion sera également, pour Moncef El Marzouki, une  » opportunité de concertation sur le processus de construction de l’Union du Maghreb arabe (UMA) et les différentes questions régionales et internationales d’intérêt commun « , soulignera le communiqué. De ce fait, sur cette question de relance de l’UMA, El Marzouki, lors de sa visite à Nouakchott, a considéré que le différent algéro-marocain sur la question de l’autodétermination du Sahara Occidental était une entrave à la concrétisation de l’organisation régionale (UMA). Affichant à ce propos, la volonté de son pays à dynamiser tous les accords de coopération et de partenariat avec les pays de l’UMA afin d’instaurer un grand espace maghrébin. En outre, selon une source diplomatique à Alger citée par l’APS, cette première visite du chef de l’Etat tunisien à Alger  » imprimera une dynamique  » au développement et à la promotion de la coopération bilatérales dans plusieurs domaines, notamment l’énergie, l’industrie, le commerce, les petites et moyennes entreprises (PME), l’enseignement supérieur, la formation, le tourisme et la culture. En outre, la même source annoncera la tenue durant le deuxième semestre de 2012 à Tunis de la 19ème commission de la Haute commission de coopération algéro-tunisienne. 
    Somme toute, force est de constater que les déplacements à Alger des différents dirigeants notamment marocains et tunisiens au lendemain du printemps arabe interviennent au moment où l’Union du Maghreb arabe (UMA), en panne depuis des années en raison notamment de différends entre ses membres, et qui après plusieurs années qui ont suivi son dernier sommet régional date de 1994, tente de prendre un nouvel essor dans le cadre de la nouvelle donne dans cette région. Fondée en février 1989, l’UMA regroupe cinq pays: Maroc, Tunisie, Algérie, Libye, et Mauritanie. Sur le volet économique, les exportations algériennes vers la Tunisie se sont chiffrées en 2011 à 530 millions de dollars, alors que les importations en provenance de ce pays ont atteint les 428 millions de dollars. A noter que l’Algérie couvre à 100% les besoins en énergie de la Tunisie. Côté investissement, des sociétés et entreprises algériennes activent en Tunisie notamment dans les domaines des transports, l’industrie, les travaux publics, les infrastructures de base et les produits pharmaceutiques. Quant à la Tunisie, elle compte quelque 47 projets en Algérie.
    Les Débats, 13/2/2012