Mois : juillet 2011

  • Maroc : Un Mouvement qui s’étend, une classe politique qui s’est discréditée

    par Kharroubi Habib

    Au Maroc, le Mouvement des jeunes du 20 février n’a nullement perdu de son audience et de sa détermination après le « oui » massif, selon les chiffres officiels enregistrés au référendum sur une révision de la Constitution. Ayant appelé à de nouvelles manifestations après cette consultation, il a été entendu, puisque plusieurs villes du Royaume ont été les théâtres des plus imposants rassemblements jamais réunis depuis son apparition sur la scène marocaine.

     Sa démonstration de force devrait rendre plus circonspects dans leurs analyses et affirmations les commentateurs qui, à l’annonce des chiffres officiels du référendum, se sont empressés de qualifier ceux-ci de succès pour Mohammed VI et de conjoncturer sur l’essoufflement du mouvement, voire sa probable extinction.

     Ce n’est pas son chant du cygne qu’a fait s’élever le Mouvement des jeunes du 20 février en cette soirée de dimanche passé, mais l’affirmation de la poursuite d’un combat pour la démocratie qui ne se satisfait pas du fardage fait à la Constitution marocaine. Bien sûr, le Roi et le Makhzen vont prendre prétexte du « plébiscite » dont la consultation référendaire donne l’illusion pour tenter de casser la dynamique de ce mouvement. Ils bénéficieront, à n’en point douter, de la compréhension et du silence complice des milieux politico-médiatiques étrangers, qui ont déjà fermé les yeux sur les résultats proprement staliniens annoncés officiellement et applaudi à « l’entente » entre le Roi et le peuple qu’ils sont censés avoir démontrée.

     Les grands perdants du référendum au Maroc, ce sont ces partis et syndicats dits d’opposition qui se sont prêtés à la mascarade référendaire organisée par le Trône, par laquelle le Roi a reconfirmé la totalité de ses pouvoirs exorbitants, alors que le peuple marocain, dans sa grande majorité, demande une constitution qui établit le principe que le monarque règne mais ne gouverne pas. Pour s’être faits les auxiliaires de la mascarade, ils en payeront le prix fort, celui de perdre le peu de crédit dont ils disposent encore parmi le peuple marocain

     L’autre enseignement qu’il faut tirer du référendum qui vient d’avoir lieu au Maroc, c’est qu’il rend pratiquement impossible la solution négociée sous l’égide des Nations unies du conflit sahraoui. En faisant inscrire dans sa nouvelle constitution un chapitre consacrant la «marocanité» du Sahara Occidental, le Roi a signifié à la communauté internationale que l’occupation marocaine de ce territoire est un fait accompli qui n’est plus discutable pour le trône et le peuple marocain. Il ne faut par conséquent nullement s’étonner si le Polisario et les Sahraouis décident, après cet acte royal, de réviser leur stratégie de lutte contre l’occupant de leur pays.

     Comme tous les monarques et chefs d’Etat arabes confrontés à la contestation de leurs peuples, Mohammed VI croit gagner du temps en ayant octroyé au sien un semblant de réformes et en jouant sur sa fibre patriotique. Deux ficelles qui ne règlent en rien le fond des problèmes contre lesquels les Marocains sont de plus en plus nombreux à se mobiliser derrière le Mouvement du 20 février. Problèmes qui sont la monarchie absolue, la corruption, les inégalités sociales toujours plus criantes, l’absence de démocratie, de liberté d’expression et les atteintes aux droits des citoyens.

  • INCREDULITE

    par M. Saadoune

    98,48% de oui. A peine 1,5% de non. Avec des scores aussi staliniens, n’importe quelle élection au monde aurait suscité dans la presse occidentale des commentaires amusés ou méprisants. Sauf au Maroc, où des journaux occidentaux très sérieux parlent d’avancée de la démocratie et se voilent pudiquement les yeux.

    A l’évidence, l’habitude des journalistes à prendre leurs aises et leurs vacances au Maroc les rend inaptes à faire des observations élémentaires. Le Canard Enchaîné vient de faire sensation en révélant la liste de grands patrons de la presse française à qui Ben Ali offrait des vacances « all inclusive» et qui ont très largement œuvré à convaincre l’opinion française que la Tunisie est un paradis que les Tunisiens ignorent. Des vacances «all inclusive» sont destinées  c’est ce que disent les dépliants publicitaires à vous épargner les tracas de devoir penser aux dépenses…

    Le fait que ces grands médias ont très largement justifié la répression et la démocratie très spécifique de M. Ben Ali a, bien entendu, beaucoup à voir avec ces largesses qui, on le sait aussi, s’étendaient au personnel politique. Un jour, peut-être, on en saura sur les «all inclusive» du Maroc. Ils doivent très certainement exister, à lire tant de commentaires complaisants sur les «grandioses» résultats du référendum constitutionnel au Maroc.

    Ils ne sont pas loin de reprendre à leur compte l’assertion du Premier ministre marocain Abbas El-Fassi qui affirme que le résultat du référendum élève le Maroc «au rang des pays démocratiques séculiers ». Les plus courageux se limitent, pour faire «équilibré», à donner une petite phrase par-ci, une autre par-là, aux commentaires incrédules de ceux qui se battent pour une vraie réforme.

    Il faut relever la délicieuse concomitance entre la couverture superficielle du référendum par la chaîne «révolutionnaire» Al Jazira et l’autorisation qui lui a été donnée pour rouvrir son bureau au Maroc.

    Il faut aller dans la blogosphère pour entendre des Marocains critiquer sans retenue la fraude électorale et le bourrage des urnes. Les jeunes du Mouvement du 20 février, qui entendent poursuivre leur combat pacifique pour les réformes, ont qualifié le résultat de «ridicule». L’organisation interdite Al-Adl oua Al-Ihsane affirme que le référendum du 1er juillet a été l’une des «plus grandes opérations de détournement de la volonté populaire de l’histoire moderne». L’organisation affirme que le taux de participation n’a pas dépassé les 37%, ce qui est très loin des 73% annoncés par les autorités. Le porte-parole de l’organisation a rappelé d’ailleurs, non sans humour, qu’officiellement 90% des Egyptiens ont voté en décembre 2010 pour Moubarak ! C’est effectivement un bon parallèle !

    Le résultat très soviétique du référendum devait susciter au moins quelques réserves d’usage. Mais il est clair que les médias occidentaux suivent dans le cas du Maroc  comme d’ailleurs pour le Bahreïn  des choix faits par les politiques. Ce qui était demandé  et conseillé  au Roi est d’organiser une apparence de réforme que les Occidentaux applaudiront à tout rompre. Déjà, les réactions dithyrambiques au contenu d’une révision constitutionnelle où il s’agit très clairement de bouger un texte pour que rien ne change, annonçaient la couleur.

    Les Marocains savent déjà que le référendum, censé avoir donné un surcroît de légitimité au régime, va poursuivre une répression qui s’accentue depuis des semaines avec, en sus, l’entrée en scène des baltaguis du Makhzen. Ils savent aussi qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes pour progresser.
    Le Quotidien d’Oran, 05/07/2011