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  • L’Ambassadeur de France à Alger au Le Quotidien d’Oran «Tous les dossiers ont été mis sur la table»

    Optimiste, l’Ambassadeur de France à Alger a un verbe qui détonne. Un parler vrai, même s’il use d’un langage diplomatique pour aborder des sujets épineux.

    Mais il y a une évidence chez ce représentant de l’Etat Français : une volonté de dépassionner les sujets qui coincent entre la France et l’Algérie.
    – Le Quotidien d’Oran : La coopération algéro-française est excellente dans le domaine universitaire, il y a beaucoup de choses qui se font peut-être dans la discrétion. Pouvez-vous nous dresser aujourd’hui un bilan ?
    – Xavier Driencourt : C’est vrai, beaucoup de choses se font entre nos deux pays, comme vous le dites, parfois dans la discrétion, sans être forcément publiques. Je rappelle que l’Algérie reste le premier partenaire de la France en matière de coopération avec une enveloppe avoisinant les 12 millions d’euros, soit approximativement la même que celle avec le Maroc. Les relations universitaires sont développées avec des échanges entre universitaires et chercheurs ; on doit signaler la présence dans les différents établissements supérieurs français d’un nombre important d’étudiants algériens, 20.038 étudiants sur 23.213 étudiants en mobilité internationale (source l’Education nationale 2009), avec du reste un processus d’obtention de visas assez perfectionné dans le cadre de Campus-France.
    Ceci n’est qu’un aspect de la coopération, auquel il faut ajouter les relations entre les collectivités locales dans le cadre de jumelages entre plusieurs villes des deux pays qui se font souvent sur la base de liens personnels : par exemple, j’ai appris récemment qu’Orly et Tiaret sont jumelées étant donné que le maire d’Orly est natif de Tiaret.
    Il faut aussi citer la coopération culturelle qui constitue un volet important, comme c’est le cas de l’organisation de la première grande exposition de peinture depuis l’Indépendance de l’Algérie, contenant pas moins d’une centaine de toiles du peintre français Olivier Debré au Musée national d’art moderne et contemporain d’Alger (MAMA).
    Ceci étant, il n’y a pas une semaine sans que des chercheurs ou universitaires ne se rendent à Alger, Oran ou Constantine, ainsi que des ministres ou autres personnalités et cela est une preuve que la relation entre les deux pays est permanente ; c’est une relation qui n’est pas uniquement entre les gouvernements, mais surtout entre les personnes. Voyez par exemple les échanges migratoires dans les deux sens.
    – Q.O. : En revanche, Excellence, il faut reconnaître que dans ces relations on constate certains blocages. Comment les expliquez-vous ?
    – X.D. : Je ne sais pas vraiment si on peut parler de blocages ; je parlerais plutôt de spécificités car force est d’admettre que la relation entre nos deux pays est particulière, spécifique, et qu’elle est loin d’être banale. En conséquence, il est normal qu’existent parfois des petits accrochages, des hauts et des bas, des tendances haussières et parfois baissières comme à la Bourse de Paris… Cette relation n’est pas toute plate, sans histoire, sans problèmes et sans piment particulier. La relation de la France avec l’Algérie ne ressemble guère à celle que la France entretient avec le Zimbabwe ou la Lituanie, c’est évident ! Donc, les petits accrochages et blocages qui apparaissent de temps à autre font partie de la densité de la richesse de la relation entre les deux pays. Cette relation n’est pas simple, parfaite et sans aucun nuage car elle est liée à des mouvements humains, à la géographie et à l’histoire. C’est pour ces raisons qu’elle est particulière, spécifique et qu’en conséquence il y a forcément des tensions, des améliorations et des réconciliations.
    – Q.O. : Même si vous avancez que la relation entre les deux pays revêt un cachet particulier, il apparaît qu’au plan régional, il y a une sorte de dissonance et il y a une préférence pour les deux autres pays du Maghreb !
    – X.D. : C’est votre point de vue. Je ne le partage pas, dans la mesure où la nature des relations avec ces deux pays est différente par l’histoire. L’Algérie est liée à la France par un passé de 132 ans que la Tunisie et le Maroc n’ont pas. Cette histoire s’est faite par des drames, des déchirements et des difficultés vécus de part et d’autre et ceci laisse des traces. Aujourd’hui, et je l’ai constaté à l’issue des différentes visites en Algérie, il y a une volonté commune affirmée au plus niveau de l’Etat pour repartir sur un nouveau pied ; l’histoire doit nous aider à construire l’avenir.
    – Q.O. : C’est le cas de la dernière visite du secrétaire général de l’Elysée à Alger ?
    – X.D. : Effectivement, le président Sarkozy a tenu à envoyer son plus proche collaborateur pour transmettre un message aux plus hautes autorités algériennes. Cette reprise survient après deux années «blanches», 2008 et 2009, pendant lesquelles il n’y a pas eu beaucoup de rencontres en raison des difficultés que vous connaissez. Le secrétaire général de l’Elysée est venu déjà en février dernier à la demande du Président Sarkozy pour reprendre contact et sa récente visite en juin avait pour objectif d’apporter un certain nombre de réponses aux questions évoquées en février dernier. Lors de l’entrevue entre ces hauts responsables qui a duré plus de 3 heures, tous les sujets ont été passés en revue. Ces contacts s’inscrivent dans le cadre d’un «nouveau processus» qui, nous l’espérons, pourrait être conclu par une visite du Président Bouteflika en France. En somme, pour utiliser une image, nous reprenons la montée de l’escalier marche après marche.
    Ces deux visites seront sans doute suivies par d’autres à l’automne prochain. Entre-temps, l’ambassade invite, vous le savez, des personnalités à venir en Algérie : Pierre Joxe, qui est un ami «historique» de l’Algérie, est venu au mois de février dernier ; Claude Estier s’est rendu à Alger au mois de mai de cette année et a donné une conférence sur «la presse française lors de la guerre d’indépendance de l’Algérie» ; enfin, il y a une semaine, Jacques Toubon, Président de la Cité de l’Immigration et président du Comité du cinquantenaire des indépendances en Afrique, a fait une conférence sur l’émigration et l’intégration, un sujet difficile en France lié au contexte actuel (débat sur l’identité nationale et sur la burka). Entre le 22 et le 26 septembre, ce sera Jean-Pierre Chevènement, un autre grand ami historique de l’Algérie, qui viendra à Alger. Et au mois d’octobre, Noëlle Lenoir, ancien ministre des Affaires européennes, viendra parler de la réconciliation franco-allemande. Toutes ces visites et bien d’autres serviront à nourrir le dialogue entre nos deux pays.
    – Q.O. : Qu’en est-il du soutien presque affiché de l’Etat français à la thèse marocaine à propos du Sahara Occidental ? Ne pensez-vous pas que le premier fondement du problème réside dans l’intangibilité des frontières héritées du colonialisme, c’est-à-dire tracées en grande partie par la France coloniale ?
    – X.D. : La France soutient les résolutions de l’ONU. Le problème, il est vrai, n’est pas simple. Mais je pense que le représentant de l’ONU chargé du dossier, M. Christopher Ross, est à même de réaliser des résultats positifs. Personnellement, je me dis que le Maroc et l’Algérie pourraient former un ensemble économique important pour le continent africain, à l’image de ce qu’était le Benelux, qui a été à l’origine de l’Union européenne.
    – Q.O.: Vous avez abordé les aspects positifs lors de la visite du secrétaire général de l’Elysée, mais quels sont les aspects négatifs abordés ?
    – X.D. : Il y a des affaires judiciaires difficiles telles que l’affaire Hasseni, la question des listes aériennes, ainsi, bien sûr, que celle de la mémoire ; ce dernier sujet vient au moment où une loi d’incrimination du colonialisme est proposée par des députés et après la loi du 23 février 2005. Ces sujets sont sensibles, d’autant que l’on s’approche du cinquantenaire de l’Indépendance de l’Algérie. Bref, tous les dossiers ont été mis sur la table, y compris les plus complexes.
    – Q.O. : Qu’en est-il de la visite de Bernard Kouchner à Alger reportée à plusieurs reprises ?
    – X.D. : Effectivement, cette visite a été reportée mais je peux vous assurer que les contacts entre MM. Kouchner et Medelci sont réguliers, même s’ils ne se tiennent pas à Alger. Les deux ministres se sont rencontrés à Tunis, dans le cadre de la réunion des 5+5, aux Nations Unies également. Donc, les contacts sont fréquents afin de nourrir justement ce dialogue. Il vaut mieux se parler, même si parfois le dialogue est difficile.
    – Q.O. : Qu’en est-il du report du sommet de l’Union pour la Méditerranée ?
    – X.D. : Le projet en tant que tel devrait favoriser le dialogue euro-méditerranéen, mais le sommet des chefs d’Etat a été reporté à l’initiative des Espagnols en raison du problème de Gaza.
    Cependant, le processus avance, peut-être plus difficilement que nous l’aurions souhaité, mais il évolue. Il y a des réunions techniques autour de l’environnement, l’éducation, etc., même si les rencontres politiques, comme le sommet des chefs d’Etat n’a pu se tenir. Il n’en demeure pas moins que l’UPM reste un ensemble de projets concrets.
    – Q.O. : Le Figaro écrivait dernièrement que les investisseurs français boudaient la destination Algérie !
    – X.D. : Il ne faut pas croire systématiquement ce que dit la presse et l’article en question est un raccourci. Le Premier ministre, M. Ouyahia, me faisait remarquer que j’avançais des chiffres optimistes. Mais la réalité est là, la France reste encore, même si nos entreprises pourraient sans doute mieux faire : le premier investisseur hors hydrocarbures avec 430 filiales installées en Algérie, avec de grands groupes et un énorme tissu de PME présentes pour des raisons historiques. Ces entreprises réinvestissent généralement leurs bénéfices en Algérie.
    Dans le secteur bancaire, Natexis, Société Générale et BNP Parisbas sont présentes, avec pour les deux dernières un réseau d’une soixantaine d’agences implantées dans toutes les régions, qui contribuent ainsi au développement des PME locales algériennes. Ces entreprises françaises ne sont donc pas venues faire uniquement du commerce mais elles s’inscrivent dans la durée. Elles sont contentes de travailler en Algérie.
    En revanche, pour de nouvelles entreprises françaises ou même européennes qui veulent découvrir l’Algérie, le marché est sans doute difficile à aborder.
    – Q.O. : Mais qu’est-ce qui gêne ces entreprises à venir investir en Algérie ?
    – X.D. : Si vous interrogez ces entreprises, elles mettent en avant, en règle générale et pour autant que je sache, trois principales difficultés : les changements d’ordre juridique, la difficulté, parfois, à identifier les bons interlocuteurs et obtenir rapidement d’eux des réponses et enfin les problèmes administratifs, d’ordre fiscal ou douanier (comme le rapatriement des bénéfices par exemple, ou la nécessité de tel ou tel agrément difficile à obtenir). Mais je le répète, nos entreprises présentes en Algérie sont heureuses d’y travailler et ont confiance dans l’évolution positive de l’économie et du pays.
    – Q.O. : Et pour l’assureur Axa qui refuse de venir investir en Algérie ?
    – X.D. : Axa ne refuse pas de venir en Algérie et les discussions avec les responsables algériens sont en cours. Il s’agit de discussions techniques qui prennent du temps. Une autre preuve que les entreprises françaises ne boudent pas l’Algérie.
    – Q.O. : Il y a des patrons algériens qui posent le problème des difficultés pour l’obtention du visa Schengen. Comment expliquez-vous cette négation ?
    – X.D. : C’est vrai qu’il peut y avoir des difficultés parfois et nos consulats font le maximum pour les régler. Mais il y a également des problèmes pour les hommes d’affaires français qui veulent prospecter le marché algérien.
    Le Quotidien d´Oran, 13/7/2010



  • L’union du Maghreb vue par Amadeus (2e PARTIE)

    Un think tank marocain à l’œuvre
    Entretien avec Francis Ghilès, Chercheur au Centre d’Etudes et de Documentation Internationale de Barcelone (CIDOB)
    Francis Ghilès a été rédacteur chargé de l’Afrique du Nord au Financial Times de 1981 à 1996 et contribue à la BBC World Service depuis plus de trente ans. Il contribue également a des média internationaux dont Le Monde, The Wall Street Journal, El Pais, Le Monde Diplomatique ; à des instituts comme le Peterson Institute et CSIS à Washington, l’IFRI et l’Ipemed à Paris, le Royal Institute of International Affairs et The International Institute of Strategic Studies à Londres, le Konrad Adenauer Stiftung à Berlin. Il est aujourd’hui chercheur au Centre d’Etudes et de Documentation Internationales de Barcelone (CIDOB).
    Francis Ghilès, un des experts les plus respectés sur les questions énergétiques, nous livre ici quelques éléments d’analyse sur l’intégration économique au Maghreb, à quelques semaines de l’inauguration du nouveau gazoduc transméditerranéen Medgaz. L’histoire et les circonstances exactes de la création du gazoduc Pedro Durran Farrel sont relatées de manière exclusive. En nous livrant les clefs de l’histoire de ce projet industriel, il nous invite à tirer les leçons du passé pour mieux appréhender les perspectives énergétiques du Maghreb aujourd’hui.
    Avec neuf think-tanks, le Maroc passe pour le pays le plus innovant du Maghreb. Le cas marocain semble être une exception dans le monde arabe des think tanks. Les formes que recouvrent les «centres de réflexion» du royaume sont diverses et correspondent aux spécificités politiques du pays. Certains cercles pionniers ont été créés dans les années 1990 pour accompagner la démocratisation et l’ouverture du débat public. C’est le cas du Centre d’études et de recherches en sciences sociales (Cerss) de Rabat, ancré dans le milieu universitaire, ou de la Fondation Abderrahim Bouabid pour les sciences et la culture, liée à l’Union socialiste des forces populaires (USFP). Selon son secrétaire général, Ali Bouabid, la fondation est à la fois «cercle d’analyse» et «club politique», contribuant au débat sur les réformes publiques. Dans les années 2000, plusieurs nouvelles institutions sont apparues. L’Institut royal des études stratégiques, créé en 2007, cherche à «disséminer la réflexion stratégique sur des questions dont il est saisi par Sa Majesté le roi» et assume cette filiation. L’Institut Amadeus, fondé, lui, en 2008 par Brahim Fassi Fihri, fils du ministre des Affaires étrangères, représente une nouvelle génération de think-tanks qui s’inscrivent dans les réseaux méditerranéens en cherchant à «promouvoir la coopération Maghreb-Union européenne» et en organisant des événements de grande visibilité internationale. Pragmatique, il développe des activités de «consultant», tout en «consolidant l’image de marque du Maroc par des actions de lobbying» (Jeune Afrique). A signaler que Amadeus se défend d’être un think tank marocain, mais seulement «implanté au Maroc».
    8.Le souhait des opérateurs économiques algériens d’aboutir à une intégration économique n’est pas toujours visible au Maroc : croyez-vous qu’il existe ?
    J’ai participé à de nombreux séminaires, en Afrique du Nord et en Europe, réunissant des entrepreneurs de la région des secteurs public et privé. Je constate depuis quelques années que les entrepreneurs maghrébins partagent réellement une vision commune du futur de leurs entreprises et ont conscience de la nécessité de construire le Maghreb par des projets communs.
    Si l’information n’est pas relayée au Maroc, cela ne veut pas dire que pour autant que cette réalité n’est pas là. Que ce soient les opérateurs privés ou publics, ils attendent tous une ouverture de la frontière terrestre. Cet ardent désir ne peut pas se manifester publiquement, car les dirigeants politiques peuvent trop facilement rendre impossible la vie d’un entrepreneur privé si jamais il venait à exprimer une pensée politiquement incorrecte. L’entrepreneur privé maghrébin ne peut pas critiquer le pouvoir. La situation politique est devenue si complexe et si illisible entre les deux pays que personne ne s’aventurerait à suggérer à ses dirigeants comment sortir du bourbier où ils se trouvent. La clé de la situation existe – aux dirigeants politiques de trouver le courage de la mettre à la serrure et d’entrouvrir la porte, comme ce fut fait en 1984.
    9.Vous êtes un spécialiste du coût du non Maghreb. Des analystes et commentateurs économiques reprennent souvent le chiffre de 2% annuel de PIB perdu. Est-ce un chiffre exact ?
    C’est beaucoup plus de richesse que le Maghreb désuni gaspille. D’abord le coût humain : la transition démographique est acquise, mais des millions de jeunes continuent d’arriver sur le marché du travail et 50% d’entre eux, dont de nombreux diplômés, sont déjà au chômage. Procurer du travail à tous ces jeunes exigerait un rythme de croissance plus élevé que celui de la Chine pendant deux décennies ! Au vu de ces réalités, l’estimation de ce que coûte la fermeture des frontières est faible : 2% de perte de croissance est une estimation qui est donné relativement souvent pour simplifier le débat et insister sur l’importance du coût du non-Maghreb. En réalité, je pense que la fermeture des frontières coûte beaucoup plus cher aux pays maghrébins. Le Maghreb uni peut avoir un impact psychologique assez fort pour renforcer le sentiment de confiance des investisseurs, ou pour recréer ce climat de confiance dans la région. C’est pour cela que le chiffre de 2% est à prendre avec beaucoup de précautions. En réalité, un Maghreb intégré créerait certainement un climat de confiance propice à l’investissement, à l’élaboration de projets à long terme, à la création de richesse. Tout cela nous ne pouvons pas le chiffrer car il est impossible de chiffrer ou quantifier la somme des mécanismes que l’union du Maghreb déclencherait mais il y a quelques éléments de coût qu’il faut mettre en avant.
    Premièrement, un coût social : le chômage est un des défis les plus durs dans les pays maghrébins.
    Or le nombre de nouveaux emplois créés chaque année est dramatiquement faible au vu des besoins. Deuxièmement, un coût invisible : imaginez que 1 ou 2% des 150 milliards de dollars d’épargne maghrébine privée investis hors de la région soient rapatriés ? Chaque année 8 milliards de US dollars d’épargne maghrébine privée sont placés à l’étranger par des maghrébins, la moitié provenant d’Algérie, 30% environ du Maroc et le reste de Tunisie.
    Ces fonds ne s’expatrieraient pas s’il existait plus d’opportunités d’investissement au Maghreb – mais les investisseurs manquent de confiance envers leur région.
    Troisièmement, il y a le coût de lié à la diaspora. Il y a 30 ans la diaspora maghrébine était composée d’ouvriers qui certes envoyaient des fonds vers leurs familles. Aujourd’hui elle inclut de nombreux cadres, des entrepreneurs, des personnes dont les entreprises ont une valeur ajoutée plus élevée. Si un Maghreb uni existait, avec des règles d’investissement harmonisées, des réseaux bancaires intégrés, une vraie liberté pour créer de la richesse comme ces gens savent si bien le faire ou ont appris à le faire à l’étranger, ils ne reviendraient pas au pays par centaines mais pas milliers. Méditez l’expérience de la Chine : plus de la moitié des investissements étrangers sont le fait des Chinois de l’étranger. Ceux-ci sont considérés comme les meilleurs ambassadeurs de leur pays d’origine. Les dirigeants ont su leur offrir des avantages très importants après le lancement des réformes économiques en 1979, ce qui explique que les trois quarts des investissements directs étrangers en Chine, dans les deux décennies qui suivirent, provenaient de cette diaspora.
    Les élites politiques maghrébines offrent quelques semblants d’avantages aux maghrébins résidents à l’étranger qui seraient tentés de suivre l’exemple chinois. Mais ces mêmes élites semblent incapables de tirer les vraies leçons de l’extraordinaire réussite économique chinoise ; réussite qui lui a permis d’exercer une influence grandissante à l’échelle planétaire.
    Songez enfin que, en ce qui concerne les investisseurs étrangers, ce sont seulement 3% des investissements globaux européens qui sont captés par le Maghreb. Si on prend un exemple comparable, on constate que l’Amérique latine et surtout le Mexique, voisin Sud des Etats Unis, capte 18% des investissements nord-américains avec une croissance de ces investissements étrangers (IDE) de l’ordre de 15% en moyenne depuis 20 ans.
    10.Un retour à la politique de petits pas menée à partir de 1984 est-elle envisageable ?
    La réponse est oui, clairement. C’est la seule envisageable. Elle devrait être lancée par des gestes forts : coopération sur le plan des ressources énergétiques et minières, ouverture du capital de certaines grandes entreprises à des agents économiques publics et privés de pays voisins et autres. C’est d’ailleurs une proposition de l’ancien gouverneur de la Banque d’Algérie, Abderrahmane Roustoumi Hadj Nacer. Une telle proposition parait audacieuse aujourd’hui, quasi impensable. Mais la fortune favorise souvent ceux qui font preuve d’audace.
    Si les dirigeants maghrébins n’osent pas penser l’avenir, la Chine, l’inde et le Brésil se chargeront de faire le Maghreb à leur place, en fonction de leurs intérêts propres. Cela démontrerait à quel point les indépendances acquises depuis un demi siècle se seraient avérées être des leurres.
    Les Débats, 7/7/2010
  • Les Américains et les «séquestrés»

    Comme prévisible, les Américains n’ont rencontré dans les camps que des hommes libres, une population pacifique, mais déterminée à arracher ses droits, tous ses droits NOS HÔTES sahraouis dans la Hamada de Tindouf ont accueilli pendant trois jours une délégation américaine venue se renseigner sur la vie dans les camps de refugiés où ne vivraient que des «séquestrés» sous la garde des méchants du Polisario, des envieux qui jalousent le Maroc et ne veulent pas de ses baisemains. Comme prévisible, les Américains n’ont rencontré dans les camps que des hommes libres, une population pacifique, mais déterminée à arracher ses droits, tous ses droits. Sur le tapis vert onusien et s’il le faut en faisant parler la poudre. Un objectif national que les Sahraouis s’étaient fixé il y a longtemps et qu’ils annonçaient haut et fort au monde déjà en juin 1970, lors de l’insurrection de Zemla, lorsque le colonisateur était encore espagnol. Dimanche, Mme Stéphanie Hammond, membre de la délégation américaine et planificatrice au niveau du Congrès américain, disait son admiration pour la femme sahraouie et livrait ses impressions sur les «séquestrés». «Nous avons constaté que ce peuple respecte les valeurs de justice et de liberté», disait-elle, relevant la générosité des Sahraouis malgré l’absence des moyens dans les camps. Le compte rendu que présentera la délégation américaine à des responsables du Congrès sera axé sur trois volets : la politique étrangère, les libertés religieuses et les droits de l’homme. En réalité, des questions qui paraissent en décalage avec la situation précaire d’une population forcée à vivre les affres de l’exil depuis 1975, lorsqu’elle fut forcée par les FAR (Forces armées royales) à une fuite éperdue dans le désert avant de pouvoir rejoindre les terres de l’hospitalière Algérie. Une population tout à fait admirable qui continue à appliquer à la lettre les résolutions de sa direction politique. Une population qui respecte le cessez-le-feu passé en 1991 avec le Maroc de feu Hassan II et qui n’a jamais recouru jusqu’ici au terrorisme. Une population qui scolarise tous ses enfants, qui les soigne et qui arrive à les nourrir, grâce à l’usage judicieux d’une aide internationale qui souvent ne parvient pas à temps. Une aide mal vue par le makhzen qui y voit une source de corruption, tare réputée lui coller.
    Par Mohamed Zaâf
    Le Jeune Indépendant, 13/7/2010

  • Un vendrendi bien international

    Nous recevons hier soir, en effet, les enfants sahraouis dans le cadre de notre jumelage avec la ville d’Haouza. Cela fait trente ans que chaque année les amis de la « République Arabe Sahraoui Démocratique » (Le Sahara Occidental occupé pqr le Maroc depuis 1975, ndlr) organisent la venue d’une vingtaine d’enfants pendant les vacances. Ces enfants partageront leur temps dans des familles d’accueil et les structures de vacances de la ville.

    Cette année, pour la première fois depuis l’existence de leur venue, des problèmes de transports ont retardé leur arrivée (avion annulé) et la semaine habituelle de prise en charge du groupe a été très écourtée. Ils étaient donc un peu perdus hier soir quand les familles mancelles sont venues les chercher. Mais la chaleur de l’accueil devrait assez vite arranger les choses.

    Un peu plus tard, j’accueille à la mairie une délégation de la chambre de Commerce et d’Industrie de Rostov-sur-le Don invitée par son homologue mancelle. À travers les visites d’entreprises industrielles et les rencontres entre entrepreneurs français et russes, je sens une volonté de collaboration forte entre nos deux villes. Mais ce soir, c’est un peu la détente pour eux entre le repas offert par notre ville et la participation à la « Nuit des Chimères ». Au cours de notre conversation (grand merci à notre interprète Margarita !), nous avons évoqué l’agriculture biologique qu’ils ne connaissent pas sauf à travers une nourriture pour une élite privilégiée (500 € le kilo de mouton bio par exemple…. si, si, vous avez bien lu !). La région de Rostov est alimentée par une agriculture où engrais et pesticides ne sont pas connus ou presque. Donc ils ne comprennent pas le pourquoi de l’agriculture bio.

    Longue conversation également sur le nucléaire. Tchernobyl est, bien sûr, évoqué. Mais nos amis russes croient fort en l’énergie nucléaire qu’ils disent avoir particulièrement sécurisée. La centrale nucléaire fournissant l’électricité à la ville de Rostov est censée résister à la chute d’un avion…. donc mieux que « notre » EPR !
    Ils ne croient pas trop à « nos » réacteurs de quatrième génération, mais plus à la fusion nucléaire…

    Discussion forcément passionnée interrompue par le début du spectacle. Je quitte mes hôtes russes assez tard après avoir sacrifié à une séance photo… Vous pensez, voir un élu casqué rentrer à vélo à cette heure là, c’est quand même pas courant !
  • L’ambassadeur américain à Alger David D. Pearce déclare que l’Algérie restera pour Washington un allié dans la lutte antiterroriste

    L’ambassadeur américain à Alger a considéré que l’expérience de l’Algérie en matière de lutte antiterroriste est unique, car elle a fait suite à de longues années de lutte pour l’indépendance.

    La communication de son Excellence Pearce, prononcée à l’occasion de 234e anniversaire de l’indépendance des Etats-Unis, se voulait aussi un hommage appuyé à l’Algérie. Selon l’ambassadeur, l’Algérie est devenue un allié incontournable aussi bien pour l’Europe que pour les Etats-Unis dans le domaine de la lutte antiterroriste et les efforts fournis pour venir à bout de cette menace.
    L’ambassadeur a en outre énuméré les volets d’une coopération réussie entre l’Algérie et les Etats-Unis, et qui s’est reflétée par la signature d’un accord d’extradition entre les deux pays, considérant que pareil accord est toujours synonyme d’une association forte entre les pays.
    Intervenant sur un autre registre, David D. Pearce considère que les échanges commerciaux entre Alger et Washington sont remarquables, puisqu’ils n’ont pas été secoués par la crise de l’économie mondiale, et du fait que l’Algérie représente le 4e partenaire économique des Etats-Unis dans la région. Il a aussi souhaité que ces échanges connaissent un flux plus important.
    Pearce a dit aussi que les visites effectuées par de hauts responsables américains à Alger depuis le début de l’année, prouvent si besoin est, que les relations sont plus stables qu’on ne le pense, et que l’ambassade des Etats-Unis prévoit des programmes de formation en direction de groupes d’Algériens ciblés.   
  • Le vrai sens de l’indépendance 04 July 2010 11:00:00 H. Rachid.

  • Le roi du Maroc appelle à renforcer les relations bilatérales

    Dans un message adressé à Bouteflika à l’occasion de la fête de l’indépendance, le roi du Maroc appelle à renforcer les relations bilatérales  

    Décidemment, le royaume chérifien ne rate aucune occasion pour réitérer sa volonté de réanimer, voire raffermir ses relations avec l’Etat algérien. Ainsi, à l’occasion de la fête de l’indépendance nationale, le roi Mohammed VI a appelé une nouvelle fois, dans un message adressé hier au président Abdelaziz Bouteflika, à «renforcer davantage les relations bilatérales» entre le Maroc et l’Algérie.
    Cette occasion a été mise à profit par Mohammed VI pour réitérer son souci «d’œuvrer (…) pour le rapprochement et la solidarité entre les deux pays sur la base, notamment, de la complémentarité et de l’intégration», est-il écrit dans le message. Auparavant, le royaume chérifien n’a pas manqué de dépêcher, samedi dernier à Alger, une importante délégation ministérielle pour transmettre un message de condoléances du roi Mohammed VI au président Abdelaziz Bouteflika après le décès de son frère. Mustapha Bouteflika, rappelons-le, est décédé vendredi dernier des suites d’une longue maladie.
    La délégation marocaine était composée notamment de Mohammed Moatassim, conseiller du roi, du ministre des Affaires étrangères Taïb Fassi Fihri et de celui des Affaires islamiques Ahmed Taoufiq, a rapporté l’AFP qui cite une source officielle. «J’adresse à Votre Excellence et, à travers vous, à votre honorable famille mes vives condoléances, ma sincère compassion et mes sincères sentiments de sympathie suite à cette perte cruelle», écrit le roi Mohammed VI au président algérien. «Tout en partageant votre peine suite à cette cruelle perte (…) je prie le Très-Haut de vous préserver, vos proches ainsi que votre peuple voisin frère, de tout malheur», est-il ajouté dans le message royal.
    Il faut rappeler que malgré le froid qui caractérise les relations algéro-marocaines depuis notamment la fermeture par l’Algérie de la frontière terrestre entre les deux pays en 1994, le royaume chérifien a toujours émis le vœu de normaliser ses relations avec l’Algérie et de rouvrir la frontière aussi rapidement que possible.
    Parmi les nombreuses sorties publiques des officiels marocains, celle, en 2009, de Tayeb Fassi Fihri, ministre marocain des Affaires étrangères, est sans équivoque. S’exprimant en marge d’une réunion des ministres de l’Union du Maghreb arabe à Tripoli, il a déclaré que «l’un des conflits majeurs entravant les relations avec l’Algérie, le Sahara Occidental, pouvait se transformer en une situation de gagnant-gagnant» s’il pouvait être résolu par l’ONU. Fihri n’est pas sans savoir que ce conflit est également un obstacle essentiel posé sur la voie du développement de l’UMA et de la zone de libre-échange qui a été proposée.
    En effet, les relations entre le Maroc et l’Algérie sont marquées par des tensions dues essentiellement à l’affaire du Sahara occidental.
    Farid A.
    Le Jeune Indépendant, 7/7/2010
  • Semaine de solidarité avec le peuple sahraoui

    De multiples manifestations programmées à Alger

    Semaine de solidarité avec le peuple sahraoui

    La semaine de fraternité et de solidarité algéro-sahraouie, qui s’étalera jusqu’au 11 juillet, a été inaugurée avant-hier dans l’après-midi en présence de plusieurs délégations algériennes, sahraouies et internationales. L’objectif tracé par ses organisateurs est de faire connaître un peu plus la cause sahraouie et la rapprocher davantage du citoyen algérien.
    A l’occasion, le président du Comité national algérien de solidarité avec le peuple sahraoui (CNASPS), M. Mahrez Lamari, a souligné que l’événement «est une occasion pour sensibiliser à la nécessité de consolider la solidarité et la coopération entre les peuples d’Afrique et d’Amérique latine et renouveler l’appel aux Nations unies en vue d’accélérer la mise en œuvre des résolutions du Conseil de sécurité en faveur du peuple sahraoui et son droit à l’autodétermination».
    La manifestation a démarré sous forme d’une marche de plusieurs troupes folkloriques nationales représentant différentes wilayas du pays à partir du stade Ouagnouni (Alger-Centre) vers la Grande-Poste. Pour Mahrez Lamari, cette manifestation revêt un caractère « populaire « qui exprime la solidarité et l’attachement « inconditionnels « du peuple algérien au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
    Il faut noter que plusieurs délégations sahraouies en provenance des territoires libérés et occupés sont présentes, ainsi qu’une délégation de l’association latino-américaine de solidarité avec le peuple sahraoui et une autre de la Jeunesse du Mali sont aussi parmi les participants. Les organisateurs aspirent à faire de cette manifestation une tribune pour les militants sahraouis de faire connaître leur lutte en faveur de leur indépendance. Ce qui est partagé par le wali de la wilaya d’El-Ayoun (camps sahraouis), Mohamed Lamine Dadi, qui a précisé que ces activités permettraient au peuple sahraoui de faire connaître sa cause au plan régional et mondial. Plusieurs manifestations culturelles, artistiques, politiques et sportives, à travers des expositions d’artisanat sahraoui, des expos photos sur la répression subie par les Sahraouis ainsi que des soirées poétiques et musicales sahraouies sont au menu.
    Pour Rabah Balahouane, responsable à la commune d’Alger-Centre, cette manifestation s’inscrit dans le cadre du jumelage entre les communes d’Alger-Centre et d’El-Ayoun. «Ce sera une occasion pour lancer un message fort à l’adresse des Nations unies et de la communauté internationale au nom de l’Afrique pour le parachèvement du processus de décolonisation dans le continent», a-t-il dit. Y. M.
    Le Jeune Indépendant, 7/7/2010
  • Bling bling, la fin d’un règne

    C’est connu, une ceinture est faite pour être serrée. La France va devoir ajouter un trou à la sienne pour éviter d’être taxée de plus mauvais élève de l’Europe. Fini le temps des berlines de luxe, des jets privés, des petits-fours et de la boîte de cigares à 12 000 euros. Les dépenses, tous gâchis confondus, devront être réduites drastiquement.

    Ne serait-ce que pour que la Ve République puisse faire oublier la facture salée de sa présidence de l’UE ? Etudiants, aides à domicile, handicapés adultes… sont «sommés» de travailler plus et de bouffer moins ; l’Etat français risque de se faire taper fort sur les doigts s’il ne parvient pas à faire 40 milliards d’économies d’ici l’an prochain.
    L’affaire n’est pas du tout mince, Grecs, Espagnols et British passent leur temps à parler d’austérité. Bienvenue au club : les Français sont à leur tour appelés à se tenir aux côtés de leur Etat que l’opposition accuse d’avoir appauvri le peuple par, en autre, le maintien du bouclier fiscal… en or. Si toutes les nouvelles dispositions limitatives pouvaient rapporter à la France quelque chose comme 14 milliards de dollars, où ira-t-elle chercher le reste ?
    Elle peut toujours compter sur la relance, mais celle-ci risque également de ne pas être au rendez-vous. Il faut se serrer la ceinture et au plus vite, ce n’est pas du tout certain que l’appel niçois de Nicolas Sarkozy à ses partenaires africains pour sauver le Vieux Continent d’une mort certaine ait été reçu cinq sur cinq.
    Du fait que le fabuleux siège au Conseil de sécurité de l’Onu n’a pas semblé avoir bercé grand- monde sur le continent noir. Quant au contrat de confiance qu’offrirait l’UPM, au-delà du dragage des ports de Méditerranée, il n’aurait fait qu’allonger la liste des dépenses extravagantes de l’Elysée sous le dôme du grand palais parisien.
    Les erreurs du passé se corrigent aujourd’hui dans l’urgence et avec l’amabilité patriotique des Français qui n’avaient nullement besoin de 94 millions de vaccins contre la grippe aviaire que Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, avait commandés sous le poids du catastrophisme d’une poignée de biologistes émérites.
    Trop c’est trop, ne cesse de s’écrier l’opposition de gauche, la France ne peut plus continuer de marcher sur la tête. Si la réduction des dépenses de l’Etat ne peut qu’être appréciée, elle l’est beaucoup moins quand elle est associée à la «punition collective» que doivent subir les Français malgré eux.
    Le débat s’annonce vif à l’Assemblée nationale française où le parti socialiste décèle plus d’une diversion que la majorité présidentielle pratiquerait à outrance.
    Car, au palais Bourbon, l’affaire Woerth continue de faire trembler les bancs.  Restriction oblige, les rédacteurs de l’Elysée ont même dû reprendre leurs stylos à bille pour démentir l’information selon laquelle le président Sarkozy aurait bénéficié de remises d’argent en espèces de la part de l’héritière de l’Oréal.
    Ce, pour les besoins de sa campagne présidentielle. Le débat sur les nouvelles restrictions budgétaires et celui concernant l’interdiction du voile intégral parviendront-ils à passer sous silence ce qui est connu pour être une gestion bling bling des affaires de la Ve République ? Pas si certain qu’une intervention publique de Nicolas Sarkozy aiderait à desserrer la ceinture anticrise. 
    Le Temps d’Algérie, 7/7/2010
  • Abdellah Taia. Ecrivain marocain : L’autoritarisme du pouvoir se reproduit dans la famille

    Vous avez forcément entendu parler de lui. Ce jeune écrivain, dont le prochain roman sortira fin août, considéré en France comme un futur phénomène de la littérature, a aussi secoué la société marocaine en déclarant publiquement son homosexualité. Dans ses écrits et son exil en France, un message : il est temps que les sociétés musulmanes se sortent de la peur intériorisée qui les empêche de s’exprimer.

    -  Dans la préface de votre livre Lettres à un jeune Marocain, vous commencez par dénoncer ouvertement le conservatisme au Maroc. « Il faut maintenant que le Marocain seul et abandonné se prenne en main et ose enfin défier sa famille, son pays, et, sans les renier, les bousculer pour mieux les enrichir. » Un constat qui résonne aussi chez beaucoup d’Algériens. Le conservatisme n’étant finalement pas toujours le fait du pouvoir, mais aussi de la société… Et peu d’intellectuels dénoncent cela…
    Le « citoyen » – je mets ce mot entre guillemets parce que l’individu n’est pas éduqué pour qu’il le soit – est abandonné. Abandonné par le pouvoir, par sa famille, par ceux qui disent qu’ils détiennent la vérité sur l’Islam, par ses amis et par les intellectuels. Au Maroc, ces intellectuels continuent de citer en référence des auteurs français du début du siècle comme si ces derniers décrivaient la réalité du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui. En restant dans leur monde, ces intellectuels ont folklorisé la société populaire, appuyant par là le projet du pouvoir de laisser les gens dans l’ignorance, de ne pas partager les richesses, etc. Aujourd’hui, on ne parle pas aux gens. On ne les aide pas à comprendre, à critiquer, à se relever, à sortir de cette honte de soi, de cette « infériorisation » dans laquelle on vit en permanence.
    -  Vous parlez d’« infériorisation » par rapport à l’image que renvoie l’Occident ?
    Non ! Je parle de l’isolement d’un être au sein de sa propre famille, où il est empêché d’avoir accès à lui-même, à ses contradictions, où il doit se conformer à nos soi-disant valeurs musulmanes, à notre soi-disant identité nationale. Mais toutes ce notions ont été vidées de leur sens… C’est là que le rôle des intellectuels devrait être important. Ils devraient pointer du doigt ces défaillances. Malheureusement, la peur a gagné tout le monde.
    -  Vous avez choisi de vivre en France en précisant que vous n’en vouliez à personne, car votre démarche était d’aller jusqu’au bout « de l’exil, de l’écriture, de l’homosexualité, de moi-même » et que vous deviez mener jusqu’au bout la voie de la liberté. Qu’est-ce qui vous a fait prendre conscience de cette nécessité ?
    Le livre Lettres à un jeune Marocain est parti d’un événement qui a déclenché le feu en moi. En mai 2007, deux frères islamistes ont voulu mener un attentat kamikaze à Casablanca. Ils avaient été repérés dans un cybercafé, mais la police n’a pas réussi à les attraper. Leur cavale a duré 24 heures et ils ont fini par se faire exploser devant le consulat américain. Ce qui a déclenché en moi plus que de l’horreur. Je comprends ce qui peut amener au désespoir, à l’irréparable. Non seulement le citoyen est abandonné, mais il est abandonné même quand il veut commettre le pire. Les islamistes gagnent du terrain et que leur dit le pouvoir ? Au lieu de les considérer, il les rejette. Il leur dit : « Vous n’existez pas. » Comme une mère dit à une jeune fille qui a un petit ami et revendique la liberté de son corps et de sa sexualité : « Tu n’es pas Marocaine, je ne t’ai pas élevée comme ça. » Ce déni, ce mépris ne viennent pas uniquement d’une mère ou d’un père, mais de toute la société. Pour cette raison, j’ai écrit un article dans Tel Quel et dans Le Monde pour crier ma solidarité avec ces deux frères. Et puis je me suis dit que ce n’était pas suffisant. J’ai pensé à Lettres à un jeune poète de Rainer Maria Rilke. Je voulais faire la même chose, parler aux gens directement. J’ai pensé que certains allaient me dire, après mon coming out : « Mais toi, tu n’as pas le droit de nous parler comme ça. » Alors j’ai contourné l’obstacle en sollicitant d’autres écrivains. Je voulais aussi que le livre, qui s’adresse aux Marocains, ne reste pas à Paris. Comme les Marocains ne fréquentent pas les librairies, je suis allé voir Pierre Bergé à la Fondation Pierre Bergé-Yves Saint-Laurent. Je lui ai expliqué ma démarche et il a soutenu le livre en permettant que soient distribués 50 000 exemplaires en français avec le magazine Tel Quel et 40 000 exemplaires en arabe avec Nichane. Je voulais pulvériser cette idée figée de la littérature que l’on a au Maroc et dans le monde arabe.
    -  Le lancement, en avril dernier, de Mithly, la première revue gay en arabe, l’existence d’une association pour lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels ne sont-ils pas des signes que le débat sur l’homosexualité au Maroc a commencé et que les non-dits ont été dépassés ?
    Depuis la mort de Hassan II en 1999, on a vu l’émergence d’une presse incroyablement irrévérencieuse et libre. Je pense au magazine Tel Quel ou à l’hebdomadaire Le Journal, où il s’est passé des choses assez spectaculaires. Je pense à des numéros sur le corps, la sexualité. Bien sûr, on peut se demander dans quelle mesure elle a atteint son but, quel est son lectorat. Et puis, elle se fait régulièrement intimider, mais tout de même, ce que les intellectuels n’ont pas fait en dix ans, une certaine presse s’en est chargée. De manière générale, elle a changé d’attitude et traite l’homosexualité de manière plus journalistique. On ne la regarde plus comme quelque chose qui relève de la honte ou de la maladie mentale. Même si elle reste punie de trois ans d’emprisonnement, le bureau des droits de l’homme au Maroc a récemment déclaré que l’homosexualité relevait des libertés individuelles. Regardez les jeunes qui s’occupent de la revue Mithly : ils ne font pas de mal au monde arabe. Au contraire ! Ils renouvellent l’engagement politique. Ils lui donnent un sens concret. Ils rappellent simplement que l’homosexualité existe dans nos sociétés depuis des siècles. Justement, en parlant de libertés individuelles, on voit dans la société marocaine des tentatives pour dépasser les interdits de manière générale, pas seulement l’homosexualité. Je pense au film Marock qui parle d’une histoire d’amour entre une musulmane et un juif, ou au Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI), le groupe qui s’est formé au Ramadhan dernier pour défendre les non-jeûneurs… En créant un groupe sur Facebook, le MALI voulait juste montrer la violence dans laquelle on vit en permanence. Et cette violence est tellement assimilée que plus personne n’y fait attention. On assiste à des actions qui montrent, au fond, que l’être marocain est libre. Que le carcan de valeurs soi-disant ancestrales n’est là que pour servir ceux qui tiennent le pouvoir. Ce changement ne parvient pas à tout le monde, mais le tollé provoqué par de telles actions fait exister ces voix. On ne peut plus dire que l’Occident veut nous contaminer car ces voix-là viennent de l’intérieur. Elles expriment un désir de liberté et d’ancrage de ces libertés dans la société marocaine.
    -  Mais pourquoi assiste-t-on à telles actions au Maroc et pas dans les autres sociétés musulmanes ? Quel est le chaînon manquant ?
    Je reviens à ce que je disais plus haut : il y a une peur intériorisée. Pas seulement du pouvoir, mais du voisin, du cousin. Le simple fait de penser que l’Autre ne va pas être d’accord avec nous empêche l’expression. Le pouvoir n’a même plus besoin d’alimenter cette peur. Elle empêche les gens de réfléchir, de s’impliquer. On assiste à des régressions, à des sentiments de surprotection. Je ne suis pas sociologue, mais je pense que tout cela est lié au pouvoir. A un moment donné, on a empêché les gens d’accéder à eux-mêmes et aujourd’hui, on en paie le prix. Or je ne pense pas qu’une société évolue avec des gens qui vont dans le sens du vent. Taha Hussein, Adonis étaient de grands transgresseurs ! Ils n’appartiennent pas à l’Occident, mais au monde arabe ! De ce monde arabe qui ne veut pas les considérer.
    -  Que signifie pour vous « être subversif » dans une société maghrébine ? Et quel est, à votre avis, la première des transgressions ?
    Sortir de sa famille. Si ce n’est pas possible physiquement, au moins dans sa tête. Les parents ne doivent pas avoir tous les pouvoirs. Il ne faut pas attendre une autorisation qui ne viendra jamais mais dire « je suis dans la vie pour faire quelque chose, être quelqu’un, pas pour papa et maman ». Devenir adulte, c’est quitter les parents. Même les animaux le font. C’est une transgression naturelle, normale, et obligatoire. Le gros problème, c’est que l’individu est tout le temps ramené à cette cellule où est reproduit l’autoritarisme du pouvoir. Les empêchements de la société sont d’abord initiés dans la famille. Attention, je ne suis pas en train de dire que je suis contre la famille. Je suis contre le pouvoir dictatorial de la famille.
    -  Le Jour du roi, votre septième livre, doit sortir le 19 août. De quoi va-t-il parler ?
    Il s’agit de mon premier « roman de fiction ». Omar, le héros, n’est pas moi mais un prolongement de moi. L’histoire se passe en 1987 à Salé, au Maroc, la ville où je suis né. Elle parle d’une amitié forte, politique, érotique, entre deux adolescents, un pauvre et un riche, tous les deux scolarisés dans le même collège. Dans les années 1980, le talais royal sélectionnait les meilleurs élèves qui étaient invités au Palais et pouvaient baiser la main du roi. C’était quelque chose qui nous faisait tous rêver. Un des deux adolescents est donc choisi pour la cérémonie, ce qui rend l’autre très jaloux. Commence alors entre eux une guerre qui a pour cadre la guerre sociale, l’abandon dans lequel est laissée la classe la plus pauvre de la société. J’avais envie de montrer le lien des Marocains avec le roi à travers les yeux de quelqu’un qui vient du peuple. Dire aussi bien l’assujettissement que la fascination. 1987 marque par ailleurs une étape importante dans notre histoire, celle de l’appauvrissement de l’imaginaire marocain. Symboliquement, le rêve d’un autre Maroc, que ce soit celui des généraux qui voulaient renverser le pouvoir ou des opposants qui voulaient changer de régime, est mort. C’est une date charnière qui marque le début d’une dépolitisation de la société. Pour ma génération et celle qui a suivi. Enfin, 1987 marque aussi l’apparition du sida. Ces années ont pour moi le goût du sang. A l’époque, dans les milieux populaires circulaient d’étranges histoires sur des kidnappeurs qui venaient à la sortie des écoles pour enlever les enfants, les emmener dans la forêt et les vider de leur sang…
    -  Considérez-vous que le rôle du romancier soit de dire la réalité ?
    Oui. La littérature et les livres doivent nous ramener à la réalité. Pour dire et défendre les différences. C’est ce qui nous manque dans le monde arabe. Mon rôle de romancier est de dire les choses. Je parle de l’homosexualité oui, mais elle ne se passe pas sur la planète Mars ni dans un ghetto, mais là, au milieu des gens, dans la société. Et puis, ce n’est pas qu’une question de sexe mais une aspiration à une liberté. Un désir d’exister par soi-même, par ce qu’on est, malgré les voiles que l’on met sur nos cœurs et sur nos corps. La littérature est le lieu pour initier le changement et la transformation. Comme l’a écrit René Char : « Va vers ton risque. A te regarder, ils s’habitueront. »